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«Quand la création était neuve…»

La Voie lactee

Occidentaux que nous sommes, il faut se lever tôt pour bien comprendre les textes de L’Offrande lyrique de Rabindranath Tagore [Prononcez, dit-on, Robindronath Togore]. Difficile, car ce compositeur, écrivain, dramaturge, peintre et philosophe est tout à fait de son pays, Calcutta, où il a vécu toute sa vie.

Par bonheur, ma copie du livre propose une introduction non signée nous donnant des clefs pour une meilleure compréhension. L’ouvrage «est fait de pièces et de morceaux disparates», de cent trois poèmes. Si ce n’était des premières lignes du livre, venant peut-être d’André Gide qui l’avait traduit de l’anglais, on ne saurait trop sur quel pied danser.

Parfois, il s’agit d’amour humain, «charnel même». D’autres fois, de pièces mystérieuses où il est question de guerre et d’armures. L’auteur sait aussi s’attacher à voir vivre l’enfant, ou laisser parler une femme. Mais, surtout, il s’adresse à un dieu intérieur, qui n’est absolument pas rattaché une religion. Comme si l’auteur reconnaissait qu’il est habité d’une dualité, avec une sorte de partie divine en lui, déjà prêt de la perfection. Bien étrange ouvrage, et nous y reviendrons.

Pour l’instant, attachons-nous à ce beau texte polythéiste, qui, dit l’auteur de l’introduction, remonte au «livre le plus ancien de l’Inde ancienne», l’admirable strophe du Rig-Véda :

« Qui connaît ces choses ? Qui peut parler d’elles ? D’où viennent les êtres ? Quelle est cette création ? Les dieux aussi ont été enfantés par Lui. Mais Lui, qui sait comment il existe ? »

 

Voici donc ce magnifique texte de Tagore, le soixante-dix-huitième des cent trois, dont aucun ne porte un titre :

Quand la création était neuve et que les étoiles brillaient toutes de leur première splendeur, les dieux tinrent leur assemblée dans le ciel et chantèrent : « O tableau de perfection ! joie sans mélange ! »

Mais l’un des dieux cria soudain : « Il semble qu’il y ait quelque part un laps dans cette chaîne de clarté et qu’une des étoiles se soit perdue. »

La corde d’or de leurs harpes rompit : leur chant s’arrêta, et dans l’épouvante ils pleurèrent : « Certes elle était la plus belle, cette étoile perdue, et la gloire de tous les cieux ! ».

Depuis ce jour on la cherche sans cesse et la lamentation de l’un à l’autre se transmet : « Avec elle le monde aura perdu sa seule joie ! »

Cependant, dans le profond silence de la nuit, les étoiles sourient et murmurent entre elles : « Vaine est cette recherche ! Une perfection ininterrompue est partout ! »

 

Rabindranath Tagore, L’Offrande lyrique, traduit de l’anglais par André Gide, Paris, Gallimard, 1963, p. 75s.

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