Les déménagements, pourtant si nombreux, ont toujours mauvaise presse
Nous voici cette fois-ci à Lévis, la ville faisant face à Québec, de l’autre côté du fleuve Saint-Laurent.
C’est aujourd’hui le 4 mai la date finale pour les déménagements et faut voir la quantité de voitures chargées de meubles et effets de toutes sortes dont nos rues sont encombrées.
Quelle époque ennuyeuse que celle des déménagements ! Être forcé de déplacer tous les meubles, de vider toutes les armoires, tous les garde-robes; étaler à la curiosité publique les ameublements de salons comme ceux des salles à dîner, de la cuisine et même les vieux meubles et les vieilleries d’un autre âge enfouis dans les greniers; enlever une tablette ici, un crochet là; dépendre un cadre, un miroir pour lequel il faut des précautions infinies. Un tableau de grand prix qu’il faut bien se garder de maculer ou de toucher même à certains endroits; en un mot, se trouver pendant une trop longue journée, si ce n’est durant deux ou trois jours, au milieu d’un tohu-bohu indescriptible, dans la poussière et la suie, oh ! la suie, car il faut démonter les poêles et….. les remonter.
Quel tracas, quelle misère surtout pour des gens qui sont peu habitués à cette besogne ! Telle feuille n’entre pas dans l’autre, celle-ci est trop grande, elle recouvre l’autre complètement. Madame veut un coude [on cause du tuyau du poêle] — ou recoudre, comme on dit généralement carré, dans le salon; monsieur veut que ce soit dans la cuisine et trouve le coude rond plus beau et pendant qu’on discute à propos…. de coude, bang ! tout ce qui était posé tombe avec fracas, recouvrant tout de poussière et de suie et monsieur s’aperçoit qu’il a oublié de mettre du fil de laiton pour retenir son tuyau. Oh !…. ….
Et puis au nouveau logement, si vos meubles ont pu échapper à la brusquerie souvent des déménageurs, s’ils ne sont pas trop égratignés, s’ils n’ont pas perdu trop de leur lustre au contact des mains calleuses des manœuvres, ils ne font plus à tel endroit comme là-bas; ce coin est trop sombre; c’est trop près de la fenêtre; il gênera pour passer, et d’autres objections toutes semblables et toutes aussi mauvaises les unes que les autres.
Et vos tapis, trop grands pour cet appartement, trop petits pour cet autre; ici trop étroits, à trop larges; coupez, rognez, clou à finition en une bonne fois avec le déménagement, afin d’oublier s’il est possible les quelques jours désagréables qui ont obscurci pour ainsi dire l’arrivée du beau mois de mai, ce mois chargé de tant de promesse.
Le Quotidien (Lévis), 5 mai 1888.
Vraiment pas facile de trouver bonheur à déménager à Lévis !