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Connaissez-vous l’histoire des cloches de Pâques ? (Second billet de deux)

coq de clocher deuxL’écrivain Louis Fréchette, qui habite Montréal, a commencé hier à nous raconter l’histoire des cloches de Pâques apprise dans son enfance à Lévis. Il confie les avoir «vues», très jeune, le soir du Jeudi saint, partir pour Rome. Par la suite, il gagne son lit, ému de ce «délicieux ébranlement». Elles reviendront cependant. Et il s’exclame :

O souvenirs d’enfance ! on a beau vieillir, comme vous nous tenez bien au cœur, à toutes les fibres du cœur !

Comme vous avez surtout de bons retours attendris !

Je n’ai jamais vu celui des cloches de Pâques. Elles revenaient trop tard pour qu’on me permît de rester debout et de les attendre; et trop tôt, le matin, pour que je pusse me lever à temps pour être témoin de leur entrée triomphale dans les lanternes vides des grands clochers de Québec, dont les arêtes métalliques s’allumaient aux premiers feux du jour naissant.

Mais je sais qu’elles arrivaient de Rome, ointes et bénies par le pape, et mises comme des princesses, avec de longues écharpes de satin rose, des couronnes de diamants et de fleurs, et de belles robes d’or et d’azur flottant radieuses dans les airs irisés par les reflets de l’aurore.

Cette légende des cloches de Pâques m’a toujours ravi; mais je croyais sincèrement être le seul qui eût jamais assisté de visu au fantastique départ, lorsque hier matin, je vis venir à moi, toute souriante et battant des mains, ma petite Adine.

Cinq ans ! Juste assez d’âge pour converser avec une poupée, c’est-à-dire pour se laisser caresser par cette divine sylphide que les sages de ce monde ont surnommée la folle du logis; mais, aussi, juste assez de connaissance pour, à un moment donné, se laisser entraîner par quelque parent de la sylphide jusque sur le terrain scabreux du mensonge.

— Papa, me dit-elle, devine ce qu’Adine a vu cette nuit !

Les cloches de Pâques partir pour Rome, sans doute ! fis-je, dans l’intention d’intéresser la mignonne.

— Qui te l’a dit ?

— Mon petit doigt.

— Oh ! que c’était joli, papa ! s’écria-t-elle en tendant ses petites mains dans un grand geste d’admiration.

— Où les as-tu vues, comme cela, les belles cloches ?

— Les ai vues sortir du clocher de Saint-Jacques et des grandes tours de Notre-Dame.

— Vraiment ?

— Oui, papa; elles sont parties sur des ailes, dans le ciel.

— Ah !

— Oui, oui ! Adine n’a jamais rien vu de si beau !

— Il y a autre chose qui n’est pas beau du tout, et c’est ce que tu fais là, Adine.

— Quoi ?

— Un mensonge.

— Un mensonge ? Non, papa, Adine ne ment pas; c’est la vérité.

— Adine !

— Sûr, papa, sûr et certain !

— Écoute, ma fille, je ne puis pas te permettre de conter des histoire comme celle-là; tu n’as pas vu les cloches partir pour Rome.

— Oui, papa, Adine les a vues toutes, toutes ! fit l’enfant les larmes aux yeux et un sanglot sur les lèvres.

Devant cette insistance, et surtout cet air de sincérité, j’hésitais, désespéré, comme on le suppose bien, de voir mon enfant mentir avec un pareil aplomb.

Je tâchai de la faire revenir sur ses pas :

— Voyons, lui dis-je avec insinuation, écoute, ma chérie, les cloches ne partent que la nuit, tu ne pouvais pas les voir sortir du clocher de Saint-Jacques et des tours de Notre-Dame. Il faisait trop sombre, et c’est trop loin…

— Ah ! mais papa, Adine ne les a pas vues comme ça, tiens, s’écria-t-elle en s’agrandissant les yeux avec ses petits doigts; pas comme Adine te regarde, toi !

— Qu’est-ce que tu veux dire ?

— Veut dire qu’Adine les a vues les yeux fermés comme ça, tiens ! Quand Adine ouvrait les yeux, voyait tout noir !

Et j’embrassai la chère petite, franchement ému de reconnaître si bien chez elle la fille de son père.

Voilà la preuve, mes amis, qu’on peut fort bien voir s’envoler les cloches de Pâques; il n’y a qu’à le vouloir.

Louis Fréchette.

 

La Patrie (Montréal), 13 avril 1895.

Un autre auteur, Maurice Lefebvre, s’est attardé à l’histoire des cloches de Pâques.

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