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Voyons comment une jeune Française perçoit Montréal à son arrivée (premier de deux billets)

Impressions dune jeune francaise a montreal

 

Une dame à la bien belle plume.

 

Votre premier soin en vous éveillant le matin dans un pays inconnu, à peine entrevu la veille dans le cauchemar d’une arrivée lasse et pénible, n’est-il pas de faire d’abord d’un coup d’œil rapide le tour de la chambre où vous avez dormi, puis, au saut du lit, d’aller voir à la fenêtre, quelques-uns des mille aspects nouveaux de cette ville où vous devez vivre ?

 Eh bien, j’ai d’abord fait le tour du propriétaire, et j’avoue avoir été surprise par le confort bien entendu qui règne dans les maisons canadiennes. S’il fait froid au dehors, s’il neige et s’il vente, le calorifère entretient jour et nuit une chaleur égale à l’intérieur; des tapis épais couvrent le parquet de la chambre, une double fenêtre la défend contre l’air glacée.

Où sont les flambées de hêtre et de chêne de nos cheminées de France, mode de chauffage nécessaire aux romanciers pour servir de cadre aux amoureux rêvant et tisonnant au coin du feu, mais tout à fait insuffisant pour vous protéger contre le climat humide et pénétrant de nos pays ?

Un lit très bas qui rappelle par sa forme les anciens lits de la cour de France; sur la toilette et la commode, des nappes ouvragées par la maîtresse de maison et qui donnent à cette chambre d’hôtel un caractère familial, enfin, un ensemble propre, confortable et coquet qui permet de reconnaître avec satisfaction qu’on y pourra travailler, lire, penser, rêver un peu, être chez soi, sous l’œil paterne d’un Christophe Colomb poudreux.

Mais l’attirance de la rue interrompt cette prise de possession de son petit domaine. On y court, on ouvre de grands yeux avides pour tout voir du premier coup, et ce qu’on découvrira est si neuf aux regards d’une profane fraîche émoulue de France qu’il n’y a place dans son âme qu’à un sentiment : la curiosité.

Mais, oui, j’ai été prodigieusement intéressée en voyant pour la première fois un coin de Montréal. Ce ne sont pas les maisons qui nous frappent d’abord; si différentes qu’elles soient des nôtres, ce sont toujours des maisons. Dans un lieu nouveau, on redevient un peu l’enfant qui s’arrête au côté pittoresque des choses.

Ainsi, par exemple, a-t-on idée de voitures sans roues glissant à même le sol, de voitures découvertes en plein mois de février, avec leur décor un peu sauvage de peaux de bêtes tapissant le rustique équipage ? Si le Canada est représenté à la prochaine exposition universelle de Paris, je conseille aux exposants d’y envoyer quelques-uns de ces traîneaux. Ils auront un succès fou, et je suis sûre que tous les visiteurs voudront y monter, si l’on consent à créer une route de neige artificielle.

Mais, ce qui leur manquera pour être en harmonie avec les traîneaux du Canada, c’est l’expression de griserie de l’espace, de joie violente d’aspirer le grand air que revêt la physionomie du promeneur canadien. «Il se tient haut et droit» sur son traîneau, regarde clair et ferme, et ne paraît pas sentir la bise qui lui fouette le visage.

Aller voir a la fenetre

 

La Patrie (Montréal), 3 mars 1906.

La suite : demain.

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