Il y a toute une variété d’acheteurs de journaux
Du moins, s’il faut en croire le quotidien montréalais La Patrie du 18 mars 1881.
Croirait-on qu’il existe une classe de ces gens ? Plusieurs personnes prétendent qu’ils sont maniaques.
Il en est qui, régulièrement, à la même heure, viennent acheter aux ateliers d’imprimerie le numéro encore tout humide. Ceux-là tiennent à la primeur, regardent à peine le numéro et s’en vont après l’avoir glissé dans leur poche. Ce sont les gourmets, les amateurs de premières éditions.
Ils ne liront leur journal qu’à huit heures du soir, après leur souper, peut-être à onze, avant leur sommeil; mais ils l’ont eu dès quatre heures et demie, tenu entre leurs doigts avant tout le monde. Cela leur suffit.
Il y a l’acheteur qui, pour tout l’or du monde, n’achèterait un autre journal que celui dont il partage les idées et qui, par sa typographie, l’arrangement de ses articles, etc., lui plaît davantage. Il sait où trouver ce qu’il cherche : le tableau du commerce lui paraît clair, le fait divers bien dramatisé. Il le retrouverait textuellement imprimé ailleurs qu’il ne le lirait pas.
Il y a l’acheteur qui, au contraire, semble réunir, comparer, etc., chercher dans une quantité de journaux d’opinions différentes son jugement définitif.
Souvent, on remarque ces différences dans les gares du chemin de fer, à l’heure du départ des trains.
— Donnez-moi tel journal ! crie un voyageur.
— Nous n’en avons plus. Voulez-vous tel autre ?
— Jamais ! Je ne lis que……. (ici le nom du journal).
Un autre arrive.
— Donnez-moi les journaux du soir !
— Lesquels ?
— Tous ! C’est-à-dire tous ceux que vous avez !
Et celui-là les prend, les plie, en bourre ses poches, en encombre les banquettes d’un wagon. Il irait en Europe qu’il n’aurait pas, dans le trajet, le temps de lire tout ce qu’il emporte à la campagne. Sa maison doit être un véritable grenier à journaux.