Skip to content

Magnifique défense de nos Chinois !

montreal chinois lisant affiches

Au début du siècle passé, les Montréalais, de langue française comme anglaise, sont très frileux à l’égard de leurs Chinois. Et me voilà bien poli en écrivant «frileux». Entendent-ils parler que ça joue quelque part au fan-tan, appelé aujourd’hui le nim, on souhaite alors l’intervention de la police. Le chroniqueur Henri Roullaud (1856-1910), originaire de Roubaix, dans le Pas-de-Calais, et mariée à une fille de Lévis, Elmire Bégin, espère qu’on se calme enfin et qu’on soit à la hauteur de véritables humains.

Il n’y a pas bien longtemps, je lisais dans un journal de Montréal l’information suivante, destinée à faire palpiter les masses :

Une descente a été opérée dans un bouge chinois, où les occupants étaient absorbés par une palpitante partie de «fan-tan». On en a arrêté dix-huit, dont deux ont été remis en liberté : l’un était mourant de consomption; l’autre était asthmatique. Les seize Célestes ont été condamnés à payer chacun une amende de $15, soit $240, prélevés sur les repassages et les lessivages que ces braves Chinois avaient gagnés à la point de leur fer [à repasser, bien sûr].

All right ! […]

Eh bien — riez de moi si vous le voulez — il n’en faut pas davantage pour m’émouvoir et pour me plonger dans des réflexions navrantes sur le sort de ces Asiatiques dépaysés.

Je sais parfaitement de quels arguments on se servira pour me réduire au silence, si jamais je tente un plaidoyer en faveur de ces pauvres bougres, mais je sais aussi que ce sont des hommes comme nous qui ont un cerveau pour penser, une langue pour se plaindre, un cœur pour aimer et pour souffrir…. et des yeux pour pleurer.

Les malheureux doivent souffrir, en effet; souffrir plus que nous lorsque nous souffrons, car aux douleurs courantes qui leur sont imposées, à eux comme à nous, il faut ajouter celles de la privation de tout ce qui est cher à l’homme : la terre natale, les affections, la famille.

Les Chinois sont des hommes paisibles, honnêtes et travailleurs. Si l’on constate ou si l’on croit seulement que leur présence sur notre continent constitue un danger quelconque, il est facile de leur en interdire l’accès. Mais du moment qu’ils ont le droit de pénétrer chez nous; du moment qu’ils paient les taxes spéciales qu’on leur impose; du moment qu’ils se conduisent honorablement, je me demande en vertu de quel droit on les taquine, on les moleste, on les persécute.

Et n’est-ce pas une persécution que d’arrêter dix-sept tristes figures à qui tous les plaisirs de notre civilisation sont refusés, et à qui on interdit tous ceux de la leur ? […]

Quel rapport y a-t-il entre ces malheureux solitaires et nous, qui pouvons constituer une famille et jouir de toutes les délices qu’elle nous apporte ? [Le gouvernement fédéral a défendu pendant très longtemps la venue de femmes chinoises, dans l’espoir que les hommes chinois quittent le Canada.] Quel rapport y a-t-il entre nous aryens, entre nous chrétiens, qui pouvons nous livrer aux exercices de notre culte, et ces exilés à qui tout manque : leur sol, leur climat, leurs femmes et leurs idoles ? […]

Il n’y a aucune parité entre eux et nous et, par conséquent, les lois souvent gênantes, quoique sages, que la prudence et l’intérêt général nous imposent, ne sont pas faites pour ces déshérités. Qu’ils jouent entre eux, qu’ils se ruinent ou qu’ils s’enrichissent, qu’est-ce que cela peut nous faire ? En quoi cela nous regarde-t-il ? Les gagnants et les perdants ne reprennent-ils pas tous les jours le labeur quotidien ? Quelqu’un des nôtres a-t-il à souffrir de leur passe-temps ? Ne se servent-ils pas de l’argent qu’ils ont légitimement acquis par le travail ? En leur interdisant le jeu, espérons-nous retenir les sommes insignifiantes que ces pauvres diables se proposent d’emporter dans leur pays pour acheter une rizière, une femme et une tombe ?

Non, n’est-ce pas. […]

Vous vous souciez peu de ce qu’ils peuvent penser ou dire de vous ? C’est un grave tort. Ces gens-là, qui ne sont pas plus bêtes que nous, emportent dans leur patrie un souvenir détestable de nos lois, de nos mœurs, de nos institutions, et il faut avouer qu’ils n’ont pas toujours tort.

Soyons donc assez patriotes pour avoir la fierté de pouvoir dire que nous sommes estimés partout, même aux antipodes. Pour cela, ne soyons ni intolérants, ni injustes, ni maladroits.

HENRI ROULLAUD.

 

L’Avenir du Nord (Saint-Jérôme), 23 février 1905.

Je disais à mon bouquiniste Bernard : «Si jamais tu vois passer une histoire de nos Chinois, je te prie de me le garder». Mais lui comme moi, nous croyons fort que ça n’existe pas malheureusement.

Il faudra bien, un jour, une grande histoire de nos Chinois québécois !

L’illustration d’un Chinois lisant «des affiches rédigées dans sa langue dans le quartier chinois de Montréal — 1940» provient de la Bibliothèque et Archives nationales du Québec dans le Vieux-Montréal, cote : P48, S1, P5157.

No comments yet

Publier un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Vous pouvez utiliser des balises HTML de base dans votre commentaire.

S'abonner aux commentaires via RSS