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Le jour de la Victoire à Québec

Page couverture marc dore

Mon ami Marc Doré, auteur de pièces de théâtre, d’essais et d’ouvrages de fiction, a publié l’an passé un récit, que je dirais ethnologique, ma foi. Peinture de ce temps de vivre.

Lui-même est au cœur du livre qui se déroule durant les années 1940 et 1950. Dans Le Devoir du 18 juillet 2015, Christian Desmeules résumait ainsi l’ouvrage : Un portrait d’époque sensible et une touchante rétrospection familiale. Rien de grandiose, mais des pages serties d’humour et de tendresse. Et je rajouterais : une fort agréable lecture, les soirs d’hiver.

Par ailleurs, pour quelqu’un n’étant pas natif de Québec, on ne pense jamais que ce lieu, hébergeant les pouvoirs politique et religieux, fut de tout temps une ville militaire. Aussi, célébra-t-on follement, sans doute davantage que partout ailleurs au Québec, le jour du 8 mai 1945, à l’annonce de la Victoire. Marc nous en offre une description colorée.

Pour donner le change, le 8 mai, jour de la Victoire, j’ai couru d’une alarme de pompier à l’autre. Je rabattais, à bout de bras et sur la pointe des pieds, la manette d’une boîte de métal peinte en rouge et fixée à un poteau de fils électriques. Ça sonnait au poste des pompiers. On m’avait dit que par un jour pareil, c’était permis d’en sonner à tour de bras. J’en sonnai deux, trois. Les sirènes hurlaient dans toute la ville, mêlées aux cloches de tous les clochers. Il y avait de la fébrilité dans l’air.

Les moineaux, par poignées, semblaient garochés d’un arbre à l’autre, ou se posaient, à peine, dans le crottin de cheval. Il faisait beau soleil et le ciel était vaste et bleu. Cette nuit-là, du bas de la côte De Salaberry montaient des «Hip hip hip hourra !» à peine reconnaissables et mêlés à des chants accompagnés de divers instruments. Tout le bas de la ville bourdonnait, en liesse. La rumeur nous parvenait par vagues qui ne s’arrêtaient jamais. On sentait l’énorme force, la colossale vitalité des citoyens s’emparer de l’espace public avec un féroce désir de faire entendre leur joie d’avoir enfin retrouvé la paix. Ce brassage tumultueux a continué jusqu’à l’aube. On ne pouvait pas dormir.

Juste un coulis de vent, agitant les rideaux, simulait l’haleine de la lointaine et infatigable bête. Une légère crainte frémissait à la frange de ce gros monstre qui continuait de faire des siennes, espérant qu’une puissante main lui serrât la bride.

Ce matin-là, dans le parc Victoria, on ramassa trois cannes, six cravates, un chapelet, huit casquettes, deux vestons déchirés, deux chapeaux de paille et trois de feutre, cinq petites culottes, un scapulaire, un bridge [une prothèse dentaire], onze souliers — sept de dames et quatre de messieurs.

Les stigmates de la fête.

 

Référence : Marc Doré, Nous autres (Montréal, Éditions Triptyque, 2015), 280 pages.

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