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Québec : ce «je ne sais quoi d’inexprimable qui surprend et grise l’esprit»

vue a partir de la promenade des gouverneursIl existe un certain nombre de récits de voyageurs français venus au Québec entre 1870 et 1920. Celui de Valbert Chevillard, Paysages canadiens, publié à Paris chez Alphonse Lemerre en 1891, m’était complètement inconnu. Le journal Le Canadien du 16 novembre 1891 en glisse un mot. Mais reportons-nous à l’original. Voici Chevillard gagnant Québec.

Québec ! Quelle fille charmante du vieux Saint-Laurent ! Quel bijou exquis dont le Canada a paré ses nudités sévères ! Elle est petite et ramassée, elle ne présente pas de palais, de monuments d’art, ni jardins ni verdure, et son port est désert; elle n’est douée d’aucun des charmes qui font les villes célèbres, — et pourtant elle captive, elle ensorcèle, car elle possède ce je ne sais quoi d’inexprimable qui surprend et grise l’esprit. Elle possède le chic, le chic par lequel triomphe la femme sans beauté qui accroche le cœur en passant, parce qu’elle sait donner une tape à son chapeau et relever sa jupe.

Les maisons qui dégringolent jusqu’au fleuve sont surmontées d’une vieille citadelle branlante, ornée de canons noirs vénérables et ridicules qui ont tonné jadis contre l’Anglais. Elle envoie vers le ciel comme une floraison extraordinaire, une infinité de clochers, de saints, de vierges, de christs par lesquels elle exprime l’ardeur religieuse de son âme.

Par un goût délicat, qui annonce la ville de qualité, elle a rebâti ses remparts sans souci de ses intérêts matériels sacrifiés, montrant ainsi aux cités roturières de l’Amérique qu’elle est de noble souche et a droit à leurs hommages.

Le décor est merveilleux. Voici à droite, par-dessus les forêts de l’île d’Orléans, la cascade de Montmorency, qui ressemble à un flot de neige croulante, puis la chaîne des Laurentides, lesquelles ne sont ni pittoresques, ni belles, mais revêtues d’une grâce légère et harmonieuse,

plus belle encor que la beauté.

Elles ferment l’horizon autour de Québec, qu’elles protègent de leurs escarpements bleutés, doux comme des draperies de velours. De l’autre côté, on aperçoit les maisons de Saint-Joseph, de Lévis, semées dans un désordre charmant parmi des sapins et des érables le long du fleuve.

L’ensemble est inimaginablement beau. La ville, les montagnes et l’eau donnent à l’âme une telle fête, que l’on voudrait demeurer toujours en cet endroit, ne plus bouger, de crainte qu’en approchant, les rapports ne se rompent et le charme ne s’envole. Ainsi, lorsqu’on approche d’un tableau pour considérer le faire du peintre, le rêve de l’artiste disparaît.

Nous dépassons la pointe de l’île d’Orléans, bordée de rochers sombres et peuplée de chalets blancs qui se détachent avec des airs coquets sur les masses vertes des bois. Cette pointe a été baptisée Sainte-Pétronille; mais comme les belles jeunes filles qui portent de vilains noms, elle rend charmant son nom ridicule.

En ce moment, où le navire s’avance dans la baie, le Saint-Laurent semble avoir disparu, mais disparu comme s’il se terminait là brusquement au pied de la ville. Il faut qu’on me le montre remontant à gauche, entre Québec et Lévis, pressé par les hautes berges des rives et infiniment diminué. Il ne reprendra plus sa splendeur ancienne, mais il restera encore le roi de tous nos fleuves européens jusqu’au lac Ontario qui lui donne la vie.

 

Demain, avec Chevillard, troublé, on visite un pensionnat de jeunes filles à Sillery.

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