Contribution à une histoire du Moineau domestique
Il est bon que le moineau ne sache lire. Disons, d’abord, qu’il n’a pas demandé à venir en Amérique. On l’a importé sciemment aux États-Unis et au Canada. À Québec, par exemple, le 10 juin 1868, dans le Jardin des gouverneurs, William Rhodes organise une fête pour lancer officiellement dans la nature 25 couples de Moineaux domestiques importés d’Irlande.
À chaque importation, on avait tous les éloges pour l’oiseau (Passer domesticus, House sparrow). Mais cela ne devait pas durer. À peine quelques années plus tard, les dénonciations commençaient à pleuvoir. C’est un forban, un querelleur.
Voilà déjà l’hiver qui étale son blanc tapis sur le sol, au grand ennui des piétons et des moineaux. Ces derniers ne savent plus où trouver leur pitance, et les piaillements qu’ils font entendre semblent une protestation contre cet état de choses.
Nous étions d’abord portés à les plaindre, mais depuis que leur nombre s’est multiplié et qu’ils nous ont donné des preuves de leur mauvais caractère, nous éprouvons pour eux beaucoup moins de compassion. Le moineau est tapageur, querelleur et pillard.
En France, on lui fait une guerre impitoyable à cause des ravages qu’il commet dans les vergers et dans les champs. Ici, le premier exploit de ces oiseaux a été de chasser l’hirondelle, les gentilles messagères du printemps, dont la présence réjouissait les habitations et dont le gazouillis retentissait à nos oreilles comme un frais éclat de rire.
Plus d’hirondelles à Montréal depuis qu’on a eu la malencontreuse idée d’importer des moineaux en Canada ! Assurément, nous avons perdu au change.
J’aime le moineau. Je vois à travers les écrits sur son compte combien nous lui en avons mis sur le dos, le rendant responsable de bien des maux de la vie. Pour l’hirondelle, par exemple, un ami ornithologue, «patenté», me disait : «Il faut être prudent à ce sujet. Nos hirondelles, grandes migratrices, traversent de nombreux milieux des trois Amériques. C’est certain qu’il pouvait arriver que certaines hirondelles, au temps de la reproduction, soient dénichées par l’oiseau. Mais, maintenant, de toute façon, faute de crottin de cheval riche en avoine dans nos rues, on remarque franchement une baisse dans la population de moineau.»
J’aime la présence du moineau qui ajoute de la couleur dans nos vies urbaines, souvent si banales. Il vit avec nous et, marchant, je prends plaisir à déporter mon attention vers lui.
D’ailleurs, entendant à la radio ou à la télé un reportage quelconque à l’extérieur, c’est le piaillement de l’oiseau à l’arrière qui me fait sourire, oubliant même le sujet traité. La présence du moineau qui nous accompagne distrait, repose, nous permet la fuite, l’échappée.
Le Moineau domestique mâle, ci-haut, est une œuvre du créateur Berchmans Charest, de la Mauricie.
La citation provient de l’hebdomadaire Le Journal de Waterloo, édition du 17 novembre 1887.
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