Éloge du temps passé
Au Québec, à la fin du 19e siècle et au début du 20e, devant les changements étonnants que vit le temps d’alors, certains membres de l’élite voient le salut à chanter ce que fut la vie autrefois. Il s’agissait, selon eux, d’un monde immuable, sans problèmes, calme, défini à l’avance, sans jamais de surprises.
Adjutor Rivard (né en 1868 à Saint-Grégoire de Nicolet, en face de Trois-Rivières, sur les rives du Saint-Laurent, et décédé à Québec en 1945), avocat, écrivain et linguiste, fut un de ceux qui voulut rappeler ce temps dans la plupart de ces ouvrages. En 1920, il obtient le Prix Devaine de l’Académie française pour son recueil de texte Chez Nous, qui, à sa troisième édition, trois ans plus tard, porte maintenant le nom de Chez nos gens.
Le Dictionnaire des auteurs de langue française en Amérique du Nord (Montréal, Éditions Fides, 1989), de Réginald Hamel, John Hare et Paul Wyczynski, dit de lui : Une grande partie de son œuvre est consacrée à la défense et à l’illustration de la langue française et reflète un véritable attachement au passé et à ses traditions.
Dans son livre Chez nous, devenu Chez nos gens en 1923, Rivard donne ici, par exemple, la parole à un vieux collier «accroché aux fiches de bois» ou suspendu dans un coin du hangar. Prétexte pour parler des chevaux.
Je reste presque seul débris d’un attelage qui a fait un long service. Je sais tous les chevaux que tu as mis à l’écurie… Le meilleur fut le Blond. La fine bête ! Ni trop large, ni trop serré, bien d’aplomb de face comme de profil, avec une belle action, et amain, pas orgueilleux, restant aux portes, bon de la route, il avait toutes les qualité.
Pauvre Blond ! son crâne blanchi est-il encore dans le haut de la terre, sur la levée du fossé de ligne ?…
Il y eut aussi celui qu’on appelait Caribou. Avec cet animal dans les menoires, ah ! c’était une autre paire de manches ! Tous les vices, mais des jarrets d’acier ! N’attelait pas Caribou qui voulait. À dire vrai, toi seul en venais à bout. Mais, quand tu l’avais en main, il fallait nous voir traverser le village : une poussière !…
Caribou fut changé pour la Grise… avec du retour, car la Grise n’était alors qu’une pouliche. La brave jument ! Pas d’escapade à craindre; un enfant la menait : sans même qu’on la commandât, la Grise suivait son chemin comme une personne, passait les barrières sans accrocher, faisait toute seule les rencontres, entrait bien droit dans la batterie. Et forte ! et endurante ! Sur la grosse voiture, elle n’avait pas sa pareille Et quand venait le temps des labours, quels bons sillons, profonds et réguliers, la Grise traçait !… Vieux laboureur, t’en souviens-tu ?»