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Entrevue avec un sage météorologiste

quel hiver aurons nousVoilà un peu plus de 100 ans, le Québec, comme ailleurs, vit avec des devins, des prophètes de la météo. Un journaliste parisien décide de rencontrer un véritable spécialiste des prévisions du temps. La Patrie du 7 novembre 1905 reproduit l’entrevue.

Il ne manque pas de gens qui croient que nous aurons un hiver rigoureux. La fin d’octobre nous a gratifiés d’une température très froide, parfois. Il y a eu de très fortes gelées. Et novembre commence par des giboulées, des coups de vent, et des froids alternatifs qui ne sont pas sans causer des inquiétudes à l’endroit de l’hiver qui s’avance.

Que se passe-t-il donc là-haut ?

Quel hiver aurons-nous ? Sommes-nous menacés de grands froids ? Faut-il s’attendre aux fâcheux pronostics ?

Un journaliste parisien a eu récemment avec M. [Alfred] Angot, l’un des climatologistes les plus documentés de l’Europe, une entrevue à ce sujet.

— Écoutez-moi bien, s’est écrié M. Angot : il est impossible à quiconque, vous m’entendez de prédire le temps qu’il fera plus de quarante-huit heures à l’avance. Normalement, les prévisions ne doivent même porter que sur les vingt-quatre heures. Alors on a quatre-vingt-dix chances sur cent pour ne pas se tromper. Il en reste encore dix pour l’erreur. Mais à quarante-huit heures d’intervalle, on tombe rarement juste. Et, au de-là, on ne sait plus. Notez que je ne vous donne pas là mon opinion personnelle. C’est celle de tous les services météorologistes du monde.

— Mais alors les almanachs qui prédisent l’avenir ?

— Un touriste, cher monsieur. Parbleu ! Ils peuvent parfois tomber juste. Mais c’est le cas de quiconque tirerait, d’un chapeau, de petits bulletins portant pour chaque jour du mois, l’indication du temps qu’il doit faire. Le hasard lui donnerait raison en certains cas.

Je le disais, cette année, à mes élèves de l’Institut agronomique, en terminant mon cours de physique et de météorologie : les gens qui prédisent le temps à distance sont des charlatans ou de hallucinés. S’ils sont de bonne foi, s’ils croient réellement ce qu’ils disent, ils ont un grain dans la tête. Ils se mettent le doigt dans l’œil. Ce sont des gens à plaindre. Pour les croire, il faudrait admettre que l’Esprit-Saint soit descendu sur eux, et les inspirât, ce qui est moins que vraisemblable.

Dans des circonstances tout à fait exceptionnelles, on peut pressentir parfois, cinq ou six jours d’avance, comme probable, une période de chaleur ou de froid. Ainsi, lors du grand hiver de 1879, le bureau central météorologique s’est cru capable de déclarer que le temps semblait devoir rester calme et très froid. Mais ce n’était là qu’une hypothèse émise à courte échéance, alors que nos bons pronostiqueurs prétendent nous renseigner à un ou plusieurs mois de date…. Ils nous la baillent belle.

Voilà plus de cinquante ans que, sur tous les points du globe, les savants tentent d’arracher à l’atmosphère le secret de ses fluctuations, parfois si subites. Ils cherchent sans cesse. Ils finiront bien par trouver. Mais ce n’est ni aujourd’hui ni demain qu’ils y réussiront. Les variations du temps sont soumises à des facteurs qui nous échappent. […]

— Les froids précoces que nous subissons, monsieur Angot, doivent-ils être considérés inéluctablement comme les prémices d’un hiver rigoureux ?

— Mais pas du tout, répondit le docte professeur de l’Institut agronomique. La statistique est là pour nous prouver le contraire.

Puisque les savants de l’Europe ne peuvent dire à leurs concitoyens quel hiver ils auront, il ne faut pas, de ce côté-ci de l’Atlantique, prêter une oreille trop complaisante aux pronostiqueurs qui voient l’avenir tout en noir. Attendons patiemment et préparons-nous à combattre le mieux possible les rigueurs de l’hiver qui nous guette.

Il n’est pas facile de croire que la nouvelle saison sera plus rigoureuse et plus longue encore que l’hiver dernier. On se le rappelle : ça ne finissait plus, et quel temps !

Les pauvres ont souffert l’an passé. Ils souffriront encore cette année. Songeons à eux !

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