L’entente entre hirondelles pour sauver une des leurs
C’était au commencement de l’automne, à l’époque où les hirondelles s’appellent et se réunissent pour s’envoler toutes ensemble vers des climats plus doux que celui du Canada en hiver.
J’étais à ma fenêtre, et je suivais des yeux les évolutions rapides de ces charmants oiseaux qui fendaient l’air comme des flèches, en gazouillant d’une voix douce et mélodieuse, lorsque j’en vis une qui, probablement plus fatiguée que ses compagnes, s’arrêta sur une corde tendue non loin de ma croisée.
Une de ces jolies petites bêtes s’était donc arrêtée sur la corde et s’y reposait; après un instant de tranquillité, elle voulut reprendre son vol, mais cela lui fut impossible; une de ses griffes s’était accrochée dans cette corde, et la pauvre hirondelle ne pouvait s’en détacher; elle se démena de toutes ses forces en faisant entendre des cris plaintifs qui prouvaient sa douleur et son désespoir; bientôt, vaincue par la fatigue et la souffrance, elle se laissa tomber la tête en bas, comme si elle était évanouie, elle pendait ainsi par la patte.
Pauvre petite ! elle faisait peine à voir, et j’aurais donné bien des choses pour pouvoir la délivrer, mais c’était impossible. Cependant, trois ou quatre de ses compagnes, qui planaient au-dessus d’elle, descendirent comme pour voir ce qui lui arrivait et ramagèrent avec une extrême volubilité; à leur voix, la captive se ranima et recommença ses mouvements désespérés sans plus de succès.
Les autres voltigeaient et ramageaient autour d’elle, comme si elles voulaient la consoler et lui donner du courage; puis elles partirent plus rapidement encore et en redoublant leurs cris qui semblaient dire : «Nous allons chercher du secours !»
Et c’est bien ce qu’elles disaient; car un instant après elles revinrent accompagnées d’une nuée d’hirondelles; elles étaient en si grand nombre que le jour en fut obscurci; aussitôt, elles descendirent à la file les unes des autres jusqu’auprès de leur compagne, donnant chacune un coup de bec à la corde près de la patte accrochée, puis elles décrivaient un grand cercle dans l’espace et revenaient toujours du même côté donner leur coup de bec, et cela en ramageant continuellement avec une extrême vivacité.
Ce manège dura un quart d’heure, mais enfin l’hirondelle fut délivrée; je la vis faire quelques pas sur la corde, secouer un peu ses ailes, lisser ses plumes et partir entourée de ses compagnes qui faisaient retentir l’air de leurs cris de joie.
Le Monde illustré (Montréal), 13 octobre 1888.
Malheureusement, cet article est non signé.