«H» y va d’une méditation sur la chute des feuilles
Elles tombent encore les feuilles…..
Encore elles viennent battre les carreaux de nos fenêtres, encore elles se détachent en tourbillonnant de la branche qui ne les tient plus, encore jaunies, rougies, brisées, folles, elles fouettent nos visages poussées par le vent plaintif qui les mène, encore elles remplissent les allées de nos jardins, en couvrent leurs plates-bandes, encore elles s’accumulent partout dans les chemins.
Elles tombent encore les feuilles…..
Elles tombent — et partie sensible de l’existence, — elles tombent en emportant avec elles ce que nous avons de meilleur ici-bas. Elles tombent faisant tomber des cœurs qui ne devaient jamais manquer, des dévouements qu’on devait sentir toujours là !
Elles tombent encore les feuilles……
Elles tombent entraînant dans leur chute des êtres que la saison trop belle a mûris aussi, elles tombent encore….,,
Et avec elles tombent des fronts où l’âge et les soucis avaient vainement tenter d’imprimer leurs rides, des fronts qu’on a baisés bien souvent !
Elles s’envolent et disparaissent, faisant disparaître et s’envoler aussi les tendresses qui ont séché nos pleurs, qui ont sauvegardé nos ans. Elles s’envolent et disparaissent et avec elles les âmes qui nous ont appris à aimer, à prier, à vivre…..
Elles tombent encore les feuilles.
Pourquoi sont-elles tombées déjà, pourquoi sont-elles parties si tôt ? …….
H.
Le Monde illustré (Montréal), 6 octobre 1888.