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«La jeune fille»

jolie fille au telegramme

Pas facile d’être jeune fille durant les années 1880. Il faut qu’elle arrive à traverser toute une vie de codes, dirait-on.

Une jeune fille n’accepte jamais d’un homme un présent de valeur, à moins que cet homme ne soit son fiancé. Et encore, jusqu’au jour du contrat, celui-ci ne doit-il offrir que des fleurs, des livres, de la musique et des bonbons.

Une jeune fille ne doit pas faire sa photographie à chaque instant, et surtout elle n’en distribue pas à tort et à travers des exemplaires. Elle peut la donner aux membres de sa famille sauf à de jeunes cousins qui peut-être la laisseraient traîner ça et là; à de telles amies qui sont douées d’un caractère sérieux et qui sont incapables de laisser aller ce portrait entre les mains de ceux qui ne doivent pas le posséder.

Elle ne porte son monogramme ni en broche, ni sur aucun autre objet de toilette, sauf son mouchoir de poche. Encore bien moins son prénom. Même prohibition en ce qui concerne le papier à lettres d’une jeune fille, lequel doit être simple, azuré ou blanc. Elle peut signer ses lettres à ses amies de son prénom, suivi de son nom de famille; à un professeur, à une personne de connaissance, à un fournisseur, l’initiale de son prénom précède le nom de son père.

Si un homme lui cède sa place en wagon, en voiture, en tout autre lieu, ou lui rend un de ces services qu’on peut accepter, elle remercie poliment d’un air souriant.

Au bal ou dans tout autre fête, si une gaieté bruyante, des conversations trop prolongées avec un homme et une exubérance de gaieté lui sont interdite, il ne lui est pas ordonné pour cela de prendre un air froid et sérieux. Un joli rire, un air aimable, certaine spontanéité même, lui siéeront [sic] très bien. En un mot, elle choisira le juste milieu entre le laisser aller et l’excessive pruderie, et elle peut être certaine qu’elle sera très convenable et charmante.

À table, elle ne doit pas manger comme un Gargantua, ce n’est pas joli et cela nuirait surtout à sa santé, mais ce serait plus déplaisant de la voir manger comme un oiseau, à moins qu’elle ne soit de constitution délicate et souffrante, parce qu’on supposerait qu’elle réprime son appétit pour affecter des airs éthérés. […]

Elle n’acceptera pas de liqueur. Une femme doit se garder des spiritueux, sa beauté et sa bienséance l’exigent. Les Romains de l’antiquité ne buvaient jamais de vin en public. Il faut suivre cet exemple au dehors et à la maison. […]

Il peut arriver qu’un jeune homme s’adresse directement à une jeune fille pour lui avouer qu’il l’aime et la voudrait pour femme. Si elle croit pouvoir répondre à son affection, elle porte immédiatement cette déclaration à la connaissance de sa mère. Sinon elle lui répondra tout de suite, ou après lui avoir demandé quelques jours avec franchise et droiture : «Je regrette de ne pouvoir accepter vos sentiments, je vous remercie de la confiance que vous me témoignez en m’offrant de porter votre nom; mais je sens que je ne puis vous rendre que de l’amitié, une bonne amitié».

Qu’on ait accepté l’amour d’un homme ou qu’on l’ait repoussé, on ne doit pas en faire la confidence à ses amies, confidence que la vanité inspirerait. En revanche on est tenu de mettre sa mère au courant de ce qui se passe.

Ann Seph

 

Le Nord (Saint-Jérôme), 26 septembre 1889.

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