Cessons de nous ronger d’inquiétude
Lewis Thomas (1913-1993) est un scientifique américain étonnant. Biologiste lucide et optimiste, il a enseigné, publié des essais et a même touché à la poésie. C’est un homme qui s’est toujours émerveillé devant la complexité des êtres vivants.
Une année après sa parution en américain en 1979, son ouvrage The Medusa and the Snail : More notes of a Biology Watcher est paru en français aux Éditions Pierre Belfond à Paris.
Dans ce livre, quasi d’entrée de jeu, en page 36, il a envie de brasser.
S’il est un sentiment que nous nous interdisons, c’est bien la sécurité. Uniques, peut-être, en cela, parmi toutes les créatures qui peuplent la terre, nous sommes l’animal de l’inquiétude. Nous nous rongeons d’inquiétudes nos vies durant, redoutant l’avenir, mécontents du présent, incapables de nous faire à l’idée de la mort, incapables de tenir en place.
Mais nous mériterions, selon moi, d’avoir meilleure presse. Nous avons toujours possédé une intuition assez fine de nos origines, ce qui est tout à notre honneur; à la langue la plus ancienne que nous connaissions, l’indo-européen, nous avons emprunté le mot «terre» — Dhghem — et nous avons fait «humus» et «humain». Mais aussi «humble», ce qui ajoute à notre mérite. Nous sommes indiscutablement l’espèce la plus obstinément sociale et nous dépendons plus les uns des autres que les fameux insectes sociaux. […]
L’humaine condition n’a strictement rien d’absurde. Nous avons matière à satisfaction, nous comptons. Il ne me paraît pas déraisonnable de penser, comme bon nombre de ceux qui ont consacré leurs réflexions à la question que nous pourrions être occupés à bâtir quelque chose comme l’esprit, l’intelligence, de cet organisme vivant que constitue notre planète.
Si tel est le cas, nous n’en sommes encore qu’au premier stade de notre aventure, occupés à tripatouiller le langage et la pensée, mais pleins de remarquables promesses pour l’avenir. Car notre capacité semble infinie. Quand on considère les choses de cette manière, on ne peut manquer d’être frappé par le chemin déjà parcouru en si peu de temps — une fraction de seconde si l’on envisage la durée en termes de temps géologique. Bref, le petit dernier est drôlement intelligent pour son âge.