«L’œuvre du rapatriement s’impose»
Au début du 20e siècle, au Québec, on croit voir naître le début d’une organisation visant à convaincre les Québécois en Nouvelle-Angleterre de revenir au pays. Mais, aujourd’hui, avec le passage du temps, on s’aperçoit que le mouvement a fait long feu.
Le 30 mai 1901, le journaliste et linguiste Sylva Clapin se joint à Ulric Barthe, du journal Le Soleil à Québec, pour taper sur le clou à son tour. La Patrie du 30 mai 1901 publie son texte.
Mon vaillant ami, M. Ulric Barthe, qui causait hier rapatriement, a parfaitement raison. Pour le plus grand nombre des Canadiens de là-bas, «l’Amérique» n’est que terre de passage. J’en sais quelque chose, moi aussi, qui habite la Nouvelle-Angleterre depuis plusieurs années, et qui, durant tout ce temps, n’ai jamais mis, que je sache, mes yeux dans mes poches.
Oui, une terre de passage. Sans doute, peu à peu, les regrets s’atténuent, s’adoucissent, que dis-je ! chez quelques-uns, semblent même disparaître. Mais visitez les «P’tits Canadas» de Lowell, de Fall River, de New-Bedford, etc., et parlez à nos gens du pays natal. Vous n’aurez guère à gratter longtemps tous ces soi-disant citoyens américains, pour retrouver ce qui ne saurait mourir, c’est-à-dire l’amour profond, indéracinable, de la patrie, encore qu’il soit admis généralement aux États-Unis qu’il serait ridicule de faire étalage de sentiment.
Et le moyen, d’ailleurs, de s’étonner de cette persistance des regrets. On a fait là-bas aux nôtres, surtout depuis quelques années, une véritable existence d’esclaves blancs, de pauvres attelés pour une pitance, à une meute de galériens. Dans les premiers temps de l’émigration [durant les années 1830], cela allait encore, car la main d’œuvre étant alors plus rare, les salaires se maintenaient raisonnables. Mais avec l’affluence récente des Portugais, des Polonais, des Hongrois, offrant leurs services pour une misère, la situation a changé du tout au tout, et nos gens ne gagnent plus guère, dans les «moulins», que tout juste ce qu’il leur faut pour se tenir en vie.
Et quelle vie ! […] Toujours, du matin au soir, dans le fracas assourdissant des machines, et dans cet air huileux, nauséabond, échappé des cotons et des laines, où surtout les pauvres poitrines d’enfants et de femmes halètent, comme comprimées dans un étau. La bonne chose que ce serait alors de faire traverser tout cela par l’un de nos grands souffles du Saint-Laurent !
Oui, l’œuvre du rapatriement s’impose, comme le dit si bien M. Barthe, surtout maintenant qu’il n’y a pas de temps à perdre; et je m’étonne que certains confrères en journalisme, qui jettent du discrédit sur l’entreprise, ne se soient pas déjà aperçus qu’ils risquaient là de commettre une mauvaise action.
Mais cette œuvre, comment la réaliser ? Je n’en vois, pour ma part, qu’un moyen, tellement la campagne de discrédit, à laquelle je viens de faire allusion a déjà semé d’hésitations et de zizanie. Ce serait pour nos ministres mêmes de payer de leurs personnes, et d’aller là-bas prêcher la bonne parole.
Il s’ensuivrait, ou je me trompe fort, un véritable exode, et il devrait y avoir là, dans cette nouvelle croisade genre Pierre l’Ermite, de quoi tenter plus d’un haut cœur avide de dévouement et rempli d’un bel enthousiasme.
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