L’araignée selon Dumonteil
Le chroniqueur français Jean-Camille Fulbert Dumonteil (1831-1912) a deux passions : la gastronomie et la nature. J’aime beaucoup le soin qu’il met à parler des bêtes vivant avec nous.
Aujourd’hui : L’araignée, dans Le Sorelois du 3 février 1886. Je ne sais pas vous, mais moi j’aime beaucoup les araignées, et ce texte me convainc davantage.
S’il est une victime de l’injustice humaine, c’est à coup sûr l’ARAIGNÉE. Elle fait horreur et pitié. On la maudit, on la traque, on la hait. D’un coup de balai, on crève sa toile merveilleuse. D’un coup de talon, on écrase l’admirable et vaillante ouvrière. Tout est dit : C’est une vilaine bête !
Oui, mais cette laideron est une grande artiste. Ce n’est pas la beauté qui fait le mérite ou le génie. Otez au papillon ses ailes; que reste-t-il, une chenille. Un savant, d’ailleurs, n’a pas besoin d’être beau, et dans la famille des Araignées tout le monde est savant. Chaque espèce excelle dans son rôle, se surpasse dans son art.
Nous avons l’Araignée fileuse, qui tourne ses fuseaux comme la reine Berthe elle-même ne dévida jamais de sa royale vie. Nous avons l’Araignée tisserande, un atelier vivant, une filature à plusieurs métiers, qui ourdit sans relâche des filets de dentelle. Nous avons encore l’Araignée géomètre, qui suspend dans les airs ces rosaces de soie dont les rayons mathématiques et charmants divergent l’un de l’autre avec une précision étonnante.
Il y a aussi l’Araignée acrobate, qui, du bout de son fil, vraie corde formée d’un million de cordons, décrit dans l’espace des évolutions à faire frémir Blondin.
N’oublions pas l’Araignée chasseresse […] qui surpasse le meilleur chien d’arrêt.
Enfin, comme si ce n’était pas assez des talents, de l’esprit, la nature a doté l’Araignée de tous les trésors du cœur. C’est la meilleur des mères. Voici, par exemple, l’Araignée à sac qui porte partout ses œufs dans une bourse de soie qu’elle a filée. Cette bourse elle la suspend dans un coin choisi de sa maison aérienne et la défend jusqu’à son dernier soupir. Souvent on l’a trouvée morte sur ce bissac maternel, étreignant de ses grandes pattes cette petite valise de famille, espoir sacré de sa race.
F. Dumonteil.
On trouvera ici d’autres textes de Fulbert Dumonteil.
Et l’histoire de cette araignée qui en a beaucoup appris à l’anthropologue américain Loren Eiseley.