«Les demandes pour aliénés ou miséreux assiègent le maire»
Sous ce titre, le quotidien montréalais La Patrie du 21 février 1896 révèle une histoire incroyable.
Tous les jours, depuis quelque temps, les bureaux du maire et le greffe du recorder sont assiégés par des gens qui viennent de tous côtés pour demander d’envoyer leurs enfants à l’école d’Industrie [littéralement une prison pour jeunes de 7 à 17 ans] et aux différents asiles.
Depuis plusieurs années, le gouvernement de Québec a fait une loi disant que le maire d’une municipalité «peut» placer l’enfant qui est sans tutelle dans une école d’industrie certifiée.
Par «enfants sans tutelle», la loi entend ici un enfant qui serait orphelin ou dont les parents seraient trop pauvres, morts ou en prison, etc.
Beaucoup de personnes dont on ne saurait s’imaginer la méchanceté et l’inhumanité qui existent en certains quartiers de notre ville, ont profité de cette loi pour faire élever leurs enfants aux frais de la ville en les faisant envoyer dans ces écoles d’industrie tout comme si c’était au collège.
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Trois jours plus tard, le 24 février, La Patrie revient sur le sujet et on apprend qu’il n’y a pas que les enfants qui peuvent être victimes de cette politique.
Nous le disions vendredi, bien qu’alors nous croyions purement à une simple éventualité, les requêtes qui se déposent actuellement sur les pupitres du greffier de la ville et de notre premier magistrat [Richard Wilson-Smith] prouvent un état de choses non seulement déplorable mais terrible.
La semaine dernière, huit demandes pour interner quelque personne dans un asile de fous ont été présentées au maire et au greffier.
Ce matin, deux autres malheureux, privés de la raison, sont venus, par l’entremise de leurs parents, faire les sollicitations requises.
Nous le répétons, les proportions sont alarmantes et terribles et les statisticiens ne manqueront certes pas de se creuser le cerveau devant cette progression d’aliénés pour en déterminer les véritables causes.
De plus, nous apprenons de bonne source que nombre de personnes surprennent la bonne foi de nos autorités municipales sur ce sujet et font interner dans les asiles des gens qui ne devraient pas y être.
Beaucoup de nos lecteurs ne pourront pas croire une telle noirceur d’âme ! Priver un pauvre petit malheureux, une fillette petiote, un misérable infirme, des consolations et des jouissances sociales pour les enfermer, sous un prétexte d’égoïsme impardonnable et criminel, dans un endroit de réclusion repoussant et où la vie doit être le pire des supplices ! Mais quel homme au monde serait assez vil pour accomplir ou concevoir même un tel dessein ?
Cependant, le fait existe.
Dans quelque temps, il sera intenté une action à la ville, pour un montant considérable, pour avoir, du temps de l’ex-maire [Jacques] Grenier, signé trop à la légère des permis d’internement dans les asiles.
Cette poursuite nous révèlera bien des choses.
Il serait temps que nos législateurs s’occupent sérieusement de cette question philanthropique et municipale.
Dénicher soudain un pareil texte oblige à poser des questions. Quelqu’un, quelque part, a-t-il déjà fouillé ce sujet ? À quand une grande histoire québécoise de l’enfant ?
La gravure de Richard-Wilson Smith, maire de Montréal pendant deux ans à partir de janvier 1896, est parue dans Le Monde illustré du 27 mars 1897. On la retrouve sur le site de la Bibliothèque et Archives nationales du Québec au descripteur «Smith, Richard Wilson, 1852-1912».