Le pigeon voyageur
Un dénommé E. Peinault rend hommage au pigeon. D’entrée de jeu, il écrit : «Il nous faudrait des volumes entiers si nous voulions parler de toutes les variétés créées par la patience des colombophiles». Peinault s’en tiendra dans son billet au pigeon voyageur et, pour qui veut en savoir davantage, il nous réfère à l’ouvrage de V. La Perre de Roo, Monographie des pigeons domestiques, qui traite de plus de 250 espèces.
Le billet provient assurément de France. Le journal Le Canadien (Québec) du 12 février 1886 le reproduit. Extraits.
Cette facilité que possèdent tous les pigeons de retrouver le chemin de leur colombier est restée […] inexpliquée. On cite des faits surprenants à l’actif de quelques-uns de ces oiseaux. En voici un entre autres qui m’a été rapporté par un de nos aviculteurs les plus intelligents, M. Bouchereaux, de Choisy-le-Roy.
M. Bouchereau avait expédié à un haut personnage de Constantinople deux couples de pigeons voyageurs. Les oiseaux, enfermés dans des cages, logés dans les fourgons de bagages, étaient arrivés en bon état à destination.
Quel ne fut pas l’étonnement de M. Bouchereaux de voir, huit jours après leur départ, un de ses pigeons rentrer au colombier; le lendemain un second regagnait son logis. Ces pauvres bêtes étaient dans un piteux état. Il leur avait fallu lutter contre la pluie et les vents d’automne qui sévissaient alors. Ils avaient dû se cacher bien souvent pour éviter la serre des oiseaux de proie en traversant les montagnes, mais enfin ils avaient fini par triompher de tous les obstacles et ils rentraient comme le pigeon de la fable, tirant le pied, traînant l’aile.
Nous pouvons penser avec quelle joie ils se retrouvèrent au logis.
On a cherché à expliquer ce don d’orientation que possèdent les pigeons voyageurs. Quelques auteurs prétendent qu’il est dû à une faculté visuelle; l’œil de ces oiseaux aurait, d’après eux, une puissance extraordinaire qui leur permettrait de reconnaître leurs régions à des distances incalculables. Cette explication est loin d’être démontrée. Tout semble prouver au contraire qu’elle est erronée. […]
D’autres auteurs prétendent, c’est l’opinion de M. La Perre de Roo, que cette faculté est due à un instinct d’orientation qui permet au pigeon voyageur de se guider à travers l’espace, comme s’il était muni d’une boussole lui indiquant constamment le chemin qu’il doit suivre.
Ce qui tendrait à faire prévaloir cette idée, c’est que l’état de l’atmosphère exerce une grande influence sur cette faculté. Le trouble de l’équilibre atmosphérique et de la stratification normale des couches aériennes empêche le pigeon voyageur de s’orienter. Mais dès que l’atmosphère cesse d’être le théâtre d’une perturbation ou d’un phénomène météorologique extraordinaire, il retrouve les courants qui le guident vers son colombier. […]
Autrefois, les Romains portaient en triomphe les oies qui avaient sauvé Rome en poussant le cri d’alarme au Capitole. Notre reconnaissance envers les pigeons est loin d’avoir une telle expansion. Pauvres pigeons ! au lieu de les entourer des soins et des égards qu’ils méritent, on en fait encore l’objet d’un plaisir cruel.
Le tir aux pigeons est un des plaisirs que le grand monde recherche avec le plus d’avidité.
On force l’oiseau à sortir d’une trappe et à prendre son vol. À peine s’est-il élevé de quelques coups d’aile dans les air, qu’un coup de fusil lui brise un aile ou une patte, et la pauvre bête se traîne misérablement dans les herbes jusqu’à ce qu’un corbeau vienne lui briser le crâne d’un coup de bec, ou que quelque chien errant lui déchire les chairs à coups de dents.
Et pas une voix ne s’élève parmi nous pour crier : Grâce pour les pigeons !
E. Peinault.