La mascarade de Victoriaville
Le journaliste de L’Écho des Bois-Francs du 9 février 1901 est heureux. Enfin une vraie mascarade à Victoriaville, une initiative de la jeunesse !
Une mascarade n’est-ce pas une chose nouvelle pour notre ville et pour nos cantons ? Mais oui, et une mascarade en règle, comme il ne s’en voit pas ailleurs. Ceux qui ont donné l’idée de cet amusement méritent des félicitations.
D’abord nous aimons à dire que ceux qui faisaient partie de la mascarade étaient nos jeunes amis de Victoriaville. Nos jeunes et aimables jeunes filles ont fourni la partie principale de la troupe joyeuse. Hier soir, la réunion avant le départ avait lieu dans une des salles de l’Hôtel de Ville. Vers huit heures, tous les membres de la mascarade se formaient en procession et défilaient dans les rues principales de la ville.
Dans ce cortège inaccoutumé, on voyait toute une série de costumes donnant l’aspect d’une bigarrure agréable. La gaieté sur les figures, et surtout le charme des minois féminins auxquels les couleurs brillantes des costumes et des lumières ajoutaient un air surabondant de vie, le chant en chœur, tout l’ensemble avait quelque chose de caractéristique, que nous n’oublierons de longtemps.
Inutile de dire que la foule de notre population, accourue de toutes les parties de la ville, suivait avec un entrain tout à fait intéressant à voir.
Après avoir paradé, le cortège de la mascarade se dirigea du côté de la rivière, en passant près de l’Académie. Un rond avait été préparé sur la glace, et des flambeaux illuminaient toute la scène. Nous pourrions dire que rarement nous n’avons vu autant de monde à nos amusements publics, et rarement aussi une aussi belle fête nous a été donnée.
La rivière et le tourbillonnement des patineurs composés de jeunes filles et de jeunes damoiseaux, éclairés par des torches, offraient un spectacle féérique. La foule qui encombrait les abords pouvait voir de nombreuses allégories dans ces patineurs masqués.
La nuit représentée par une jeune fille revêtue d’un costume noir parsemé d’étoiles d’or; l’hiver par un costume blanc; la petite bohémienne, la tireuse de bonne aventure, la frivolité, la chaperonne, le petit chaperon rouge, la belle japonaise, la bretonne avec son allure sympathique, tout ce joli ensemble avait quelque chose de charmant, et ces toilettes aux couleurs chatoyantes étaient de nature à ragaillardir les plus stoïques.
Les types campagnards et celui de la vieille fille ont eu un succès bouffe à désopiler la rate. Le nègre si bien représenté; le jeune pierrot, et les jeunes pages de la cour royale du dix septième siècle; le dude américain, et «last but not the least» la grande figure historique du dernier siècle, Napoléon 1er avec son regard taciturne de prisonnier à l’île Ste-Hélène. […]
Dans le bon vieux temps, les jeunes s’affublaient de haillons, de masques de nature à les déguiser et passaient par les maisons, où généralement ils recevaient bon accueil. Aujourd’hui, c’est encore le déguisement, les parades dans les chemins, mais plus modernes. Ce ne sont plus les mardi gras qui vont voir les gens, mais ce sont les gens qui vont voir la mascarade, et nous sommes heureux de dire que celle de jeudi soir est un événement agréable pour notre ville.
Il y a près de quarante ans, on nous parle d’une espèce de mascarade sur la même rivière, mais en haut de la chaussée; et il y a encore ici des personnes qui en faisaient partie. Mais sans faire d’injure aux souvenirs, nous oserions dire que tout en ayant le même brio, cette mascarade ne devait pas avoir le même brillant. Autre temps, autres moyens.
Que diraient les anciens de nos bois francs, ces vieux qui ont abattu les vieilles forêts, s’ils avaient vu, jeudi soir, toute cette descendance joyeuse qui leur a succédé, s’amusant à cœur joie sur cette même rivière qui leur a servi tant et si souvent ? Mais, dans quarante ans, nos descendants en diront autant et, si les costumes varient en proportion, il n’auront qu’à dire, autre temps, autres moyens !!!
La bien sympathique photographie de carnavaleux des temps anciens provient de la Bibliothèque et Archives nationales du Québec dans le Vieux-Montréal, Collection Monique Mercure-Vézina, Photographies, cote : P157, S4, P287.