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À épingler au babillard sur l’humanité

jacques juste barbet de jouyEn janvier 1885, s’ouvrira la session au parlement fédéral à Ottawa. Évoquant qu’il y aura alors course à l’emploi, le chroniqueur Léon Ledieu affirme que plusieurs candidats «intrigueront» pour obtenir un des postes et nous propose ce texte incroyable qu’écrivait l’industriel français Jacques-Juste Barbet de Jouy en 1812.

«De tous les vices inconnus chez les peuples sauvages, l’intrigue est celui dont on peut le moins soupçonner l’existence. Je possède un vocabulaire polyglotte de presque tous les idiomes des peuplades des deux Amériques, et je n’y trouve pas un seul mot qui puisse, je ne dis pas exprimer, mais seulement donner une idée de celle que nous attachons au mot intrigant.

«Si l’on disait à un habitant des bords du Missouri qu’il existe une classe nombreuse de gens assez industrieux pour obtenir, par adresse, ce qui ne doit être accordé qu’au talent et au mérite; qui ont réduit en précepte l’art de tromper et de feindre; qui spéculent sur la bonne foi des autres; qui prouvent, contre l’axiome des mathématiciens, que la ligne courbe est la plus courte pour arriver au but; qu’au moyen de cette science de l’intrigue on passe en peu de temps de la misère à l’opulence, du mépris à la considération, et d’un grenier dans un hôtel; si l’on disait à cet enfant des bois que l’intrigue aplanit toutes les difficultés, dispense de tous les titres et ouvre toutes les portes; mon sauvage, émerveillé de semblables prodiges, désirerait sans doute qu’on lui communiquât les secrets de l’art qui les opère.

«Mais si l’on ajoutait qu’il faut pour cela dévorer les affronts, supporter les injures, mendier des mépris, qu’il faut ramper et baiser gracieusement le pied qui nous écrase, je suis certain que mon sauvage redemanderait bien vite ses forêts et sa cabane, seul asile où l’intrigue ne pénètre pas.»

Et Ledieu d’ajouter : On affirme que ce produit de la civilisation est assez commun chez nous; seulement on ne dit pas qu’un homme est intrigant, Jean-Baptiste l’appelle naïvement un homme smart.

 

Source : Le Monde illustré (Montréal), 10 janvier 1885, p. 2.

Le portrait de Barbet de Jouy apparaît sur la page Wikipédia qui lui est consacrée. Il était paru dans L’Illustration, journal universel, édition du 19 décembre 1846.

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