L’histoire bien courte de la guillotine en Amérique du Nord
Nous sommes en 1886. Voilà un meurtre à Saint-Pierre et Miquelon, archipel français habituellement bien calme à quelques kilomètres au sud de Terre-Neuve. Que faire avec le meurtrier ? Le 23 décembre 1886, Le Canadien, un quotidien de Québec, raconte.
On écrit de Saint-Pierre et Miquelon que les autorités de la colonie se trouvent actuellement dans un cas fort embarrassant, par suite de la condamnation à mort d’un assassin et de l’impossibilité de l’exécuter faute de guillotine et de bourreau.
Il n’y a jamais eu d’exécution capitale à Saint-Pierre, et aucun meurtre n’y avait été commis jusqu’au mois de juillet dernier, lorsqu’un individu d’origine basque, Carlos Zuguarregui, employé dans une fabrique de conserves de poisson, a égorgé, sans la moindre provocation, son contremaître, Stanislas Coste, un brave ouvrier et un excellent père de famille.
Le meurtrier, dont les antécédents sont détestables, a été condamné à mort le 22 août par le conseil d’appel de Saint-Pierre. Zuguarregui devait être exécuté au mois de septembre, mais comme il n’y a ni guillotine ni bourreau dans la colonie, l’exécution a dû être ajournée.
Faire venir à Saint-Pierre l’exécuteur des hautes œuvres de France avec sa lugubre machine eut été une dépense considérable qui aurait pesé lourdement sur le budget de la colonie.
On a donc, dit-on, songer à construire une guillotine à Saint-Pierre. Mais alors il s’est présenté de nouvelles difficultés. La charpente de la guillotine eut été assez facile à faire, mais on ne savait où trouver le couteau.
On s’est adressé, ajoute-t-on, à différentes coutelleries des États-Unis; mais nulle part on n’a pu trouver l’objet demandé, pour cette bonne raison que la guillotine n’a jamais été en usage en Amérique, où elle n’est connue que par les livres, les journaux et les estampes.
Un de nos confrères de New-York affirme cependant qu’il y a un couteau de guillotine aux États-Unis, sinistre relique de la révolution française, qui aurait tranché la tête de Marie-Antoinette et qui se trouverait maintenant dans une châsse en verre au musée de Boston.
Quoi qu’il en soit, il n’a pas été question d’emprunter ce couteau, dont l’authenticité pourrait d’ailleurs être contestée. Mais on aurait songé, paraît-il, à le prendre pour modèle. Les choses en sont là.
Dans le cas où Zuguarregui serait exécuté à Saint-Pierre, ce serait la première exécution par la guillotine qui aurait lieu dans l’Amérique du Nord, les Antilles exceptées.
L’illustration de Marie-Antoinette devant le Tribunal révolutionnaire est parue dans le livre d’Henri Gourdon de Genouillac, Paris à travers les siècles, vol. 4 (Paris, F. Roy, 1881). On la retrouve sur la page Wikipédia consacrée à Marie-Antoinette d’Autriche.
Étrange concours de circonstances… Nous parlions justement de guillotine et de St-Pierre, il y a deux jours… Aucune idée de comment nous en sommes arrivés là en cours de discussions le soir de Noël ! Je faisais alors référence au film(avec Juliette Binoche, Daniel Auteuil et Emir Kusturica, entre autres), titré « La veuve de St-Pierre », la veuve désignant la guillotine et non celle qui le deviendrait, possiblement, une fois l’homme exécuté… Film basé sur une histoire vraie qui se serait déroulée au XIXe siècle… avec de magnifiques images, costumes…
Plus de détails ici: http://fr.wikipedia.org/wiki/La_Veuve_de_Saint-Pierre
Merci, chère Esther, de ce que Vous dites «Étrange concours de circonstance». Mais Vous savez que je ne crois pas à ces «étranges concours de circonstances». J’avais repéré cet article du journal Le Canadien le jour de Noël. Je l’ai retranscrit hier soir et l’ai programmé alors pour aujourd’hui.
Jamais entendu parlé de cette histoire.
Par contre celle ci-dessous est véridique et c’est celle qui a inspirée le film cité ci-dessus, la Veuve de Saint-Pierre (repris sur http://www.saintpierreetmiquelon.net/19021930-affaire-neel-auguste-et-ollivier-louis/)
19/02/1930 : Affaire NEEL Auguste et OLLIVIER Louis
Un Meurtre à l’Ile aux Chiens
La Victime – Les Meurtriers
Audience du Tribunal Criminel – Le Verdict
L’Expiation
Le crime commis fin décembre 1888 à l’Ile aux Chiens ne fut pas un assassinat comme la légende s’en est accréditée dans la Colonie, car il n’y eut ni préméditation, ni guet-apens, mais un meurtre accompagné de vol qualifié.
Voici d’ailleurs les faits tels qu’ils résultent de l’information judiciaire.
Dans la journée du lundi 31 décembre 1888, la paisible population de l’Ile aux Chiens était mise en émoi. Le père COUPARD François, marin pêcheur âgé de 61 ans, célibataire, était trouvé mort dans sa cabane de pêche, le corps horriblement mutilé.
Ce vieillard avait un avant qui habitait avec lui. Si ces deux hommes avaient entre eux de fréquentes altercations, du moins, ces disputes ne dégénéraient jamais en pugilat. Cependant, au cours de la nuit précédente, les époux JUIN, proches voisins de COUPARD, entendirent un bacchanal effroyable, on chantait. Ces bruits les tinrent éveillés une partie de la nuit. Vers huit heures du matin, ils s’empressèrent d’aller faire leurs déclarations à la police au sujet du potin qu’on avait fait à côté d’eux. Les gendarmes DANGLAS et BONNAUX se rendirent immédiatement chez le père COUPARD, mais à part certains dégâts insignifiants, tels qu’un bris de vitres, ils ne remarquèrent rien d’anormal ; la cabane était vide. Les constatations des agents avaient été trop hâtives car les dégâts étaient au contraire assez importants ainsi qu’on le verra dans la suite ; on peut même s’étonner qu’ils aient pu passez inaperçus aux yeux des gendarmes.
Ce n’est que dans l’après-midi vers deux heures, que deux amis de COUPARD, MM. POIRIER et FOURRE se rendirent chez lui emprunter une paire de bottes…. Quelle ne fut pas leur surprise de voir le tambour démoli et la fenêtre brisée. Ayant pénétré dans la cabane et soulevé une voile de wary étendue dans un coin, ils y découvrirent le cadavre absolument nu du malheureux pêcheur COUPARD.
Le Parquet immédiatement prévenu se transporta sur les lieux pour procéder aux premières constatations, en présence du docteur CAMAIL, médecin de la localité.
Le cadavre avait été déposé entre deux coffres et tassé en boule, le tête repliée sur la poitrine et les jambes infléchies sous l’abdomen. Quand on retira le cadavre de la position où il se trouvait, un horrible spectacle glaça d’horreur les assistants. Le corps de COUPARD était atrocement mutilé. Au-dessus du sein droit, trois incisions d’environ trois centimètres de longueur, trois incisions semblables existaient au-dessus du sein gauche. A le gorge, la trace d’un coup e couteau qui avait pénétré jusqu’au cœur. Le sternum avait été fendu dans sa partie médiane, comme pour diviser le tronc en deux parties. Le ventre entièrement perforé laissait échapper les intestins, dans la partie inguinale, deux sections symétriques très profondes indiquaient qu’on avait voulu détacher les jambes du tronc. D’autres mutilations innommables étaient également constatées. Sans doute, le ou les meurtriers, pressés par le temps ou de crainte d’être surpris n’avaient pu achever leur boucherie. Jetant le cadavre là ou il se trouvait et l’ayant recouvert d’une voile de wary, avaient pris la fuite, s’emparant de tout ce qui pouvait être emporté.
Les soupçons se portèrent naturellement sur l’avant OLLIVIER qui avait disparu avec l’embarcation de son patron et, suivant une supposition assez vraisemblable, avait gagné la cote de Terre-Neuve. Il était donc intéressant de rechercher si ce marin avait commis le crime seul ou en compagnie de complices. Lundi soir seulement, on apprenait que OLLIVIER avait été vu la veille avec un individu nommé NEEL et que tous deux avaient fait des stations et de nombreuses libations dans les deux cabarets de l’Ile aux Chiens jusqu’à dix heures du soir. NEEL, bien connu dans cette localité, demeurait à SAINT PIERRE chez un nommé RUELLAN où il prenait pension. Le mardi premier janvier, la police s’informa chez ce dernier de ce qu’était devenu son pensionnaire. Elle apprit alors non sans étonnement que NEEL était revenu la veille de l’Ile aux Chiens vers huit heures du matin en compagnie d’un breton dont le signalement correspondait assez exactement à celui de OLLIVIER. Mais ces deux individus étaient partie le même jour de chez RUELLAN à deux heures de l’après-midi après avoir demandé à d’autre pensionnaires de venir les aider à pousser leur wary échoué à la pointe du Cap à l’Aigle . NEEL et OLLIVIER avaient donc repris la mer. Avaient-ils pu gagner la cote anglaise ? C’est ce que, anxieusement le Parquet se demandait lorsque Monsieur le Procureur de la République qui s’était de nouveau transporté à l’Ile aux Chiens pour obtenir des renseignements complémentaires recevait la nouvelle que les meurtriers présumés du père COUPARD venaient d’être arrêtés chez RUELLAN par l’agent de Police Paul COUPARD. Un fort vent d’est et l’état de la mer n’ayant pas permis à ces deux marins de gagner la cote anglaise, force leur avait été de relâcher à l’Anse à Henri où ils avaient saillé leur embarcation et passé la nuit dans une cabane abandonnée. Le matin du premier janvier, ils étaient revenus en ville par la route du GUEYDON, non sans avoir fait des stations dans divers cabarets établis le long de la route (E. RUAULT- Mme PORET et CHENEY). Le restaurant RUELLAN avait été leur dernière station. A peine arrêtés, NEEL et OLLIVIER étaient conduits sous bonne escorte sur les lieux du crime pour y être interrogés et confrontés avec le cadavre de COUPARD. Ils firent des aveux complets. NEEL aurait frappé le premier, OLLIVIER n’aurait frappé qu’après sur l’invitation de son complice.
Interrogés pour savoir dans quel but ils avaient tenté de dépecer le cadavre de leur victime, ils répondirent que c’était pour savoir » s’il était gras « , que d’ailleurs ils étaient saouls perdus.
Sur leur parcours, les meurtriers purent se rendre compte combien leur abominable forfait avait soulevé l’indignation publique. Les femmes surtout en voulaient à NEEL qu’une vie de désordre avait conduit jusqu’au crime.
L’instruction de cette affaire menée rapidement permettait au Tribunal Criminel de se réunir en session le mardi 8 février 1889.
Les débats durèrent deux jours. Voici quelle était la composition de ce tribunal :
MM VENOT, Président du Conseil d’Appel, Président ; APHALO, Sous-Commissaire de la Marine ; LALLIER DE COUDRAY, Aide-Commissaire de la Marine et quatre assesseurs habitants notables : MM. Léonie COSTE, Auguste CRESET, Charles HACALA et Léon HUMBERT.
M. Maurice CAPERON, Procureur de la République, Chef du Service judiciaire occupait le siège du Ministère Public.
La salle de l’audience est comble.
L’acte d’accusation lu par le Greffier en Chef, M. SIEGFRIEDT, il est procédé à l’interrogatoire des accusés qui ont déclaré se nommer :
NEEL, Joseph, Auguste né à Saint-Pierre, le 28 mai 1860, marin pêcheur
OLLIVIER, Louis, né à Coatraven, Cotes du Nord le 31 octobre 1863, marin pêcheur.
NEEL et OLLIVIER maintiennent les aveux faits au cours de l’instruction à savoir que le dimanche 31 décembre, vers dix heures, ils avaient projeté de souper chez COUPARD. Rendus furieux de voir la porte du tambour fermée, ils avaient démoli cette enceinte et brisé l’unique fenêtre de la cabane et, pénétrant dans celle-ci se trouvèrent face au patron d’OLLIVIER qui, un couteau à la main, prétendait défendre l’entrée de son domicile. Il y eut alors lutte entre COUPARD et son avant.
Pendant que OLLIVIER maintenait COUPARD, NEEL s’écria : » Mieux vaut tuer le diable que le diable vous tue « , et il avait frappé sur l’avant-bras de COUPARD et fait tomber l’arme, l’avait ensuite ramassée et l’avait plongée dans la poitrine de la victime.
Le temps d’allumer la chandelle et les deux hommes penchés sur le corps de COUPARD s’assuraient que le malheureux respirait encore. C’est alors que NEEL dit à son camarade : » Tiens v’la le couteau, tape à ton tour » et OLLIVIER prenant le couteau l’enfonça dans le ventre de COUPARD.
Après le meurtre, les accusés s’acharnèrent sur le cadavre, pendant que OLLIVIER éclairait son camarade, ce dernier ouvrait le thorax avec le même couteau et attirait le cœur à lui, s’écriant » quel gros cœur » et fait les mutilations ci-dessus écrites. Enfin, les deux misérables à tour de rôle avaient taillé dans les aines pour détacher les jambes du tronc. Les meurtriers persisteront à soutenir qu’ils n’avaient pratiqué ces mutilations que pour voir si COUPARD était gras, se défendant d’avoir voulu le dépecer pour jeter les restes à la mer. OLLIVIER prétendait que lorsqu’il frappa dans le ventre de son patron, celui-ci ne bougeait plus, mais il fut démenti sur ce point par NEEL qui affirma que le père COUPARD à ce moment » soupirait à petits coups « .
Après cette scène de sauvagerie, les deux accusés après avoir soigneusement dissimulé le cadavre dans un coin de la cabane sous une voile, songèrent à fuir, espérant gagner la cote anglaise avant la découverte du cadavre et de leur crime : emportant tout ce qu’ils jugèrent utile pour la traversée, ils poussèrent l’embarcation de COUPARD, mais nous l’avons vu, les vents d’est et la grosse mer ne leur avaient pas permis de mettre leur projet à exécution et ils s’étaient fait arrêter dans la matinée du 1er janvier.
NEEL et OLLIVIER ne cessèrent d’arguer de leur état d’ivresse, sinon pour excuser, du moins pour atténuer l’atrocité de leur crime : OLLIVIER, garçon aux manières lourdes, au cou de taureau et dont l’intelligence paraît étouffée par la force physique, OLLIVIER qui joua dans ce drame un rôle plutôt passif, pressé d’expliquer pourquoi il avait obéi aveuglement à NEEL qu’il connaissait à peine, tandis qu’il avait déclaré que COUPARD, son patron, avait toujours été bon pour lui, ne put donner aucune raison. Les témoins de moralité étendus à presque tous les habitants de l’Ile aux Chiens, fixèrent le Tribunal Criminel sur l’état des accusés avant le crime. Tous s’accordèrent à établir que, dans cette soirée du dimanche 30 décembre, NEEL était entre deux vins suivant son habitude, tandis que OLLIVIER paraissait être dans son état normal.
Le Procureur requit la peine capitale contre NEEL et ne s’opposa pas à l’admission des circonstances atténuantes en faveur d’OLLIVIER. NEEL, d’après le Ministère Public ayant exercé sur OLLIVIER une sorte de fascination incompréhensible, voisine de l’hypnotisme.
M. BEHAGUEL, dans une chaleureuse plaidoirie, tenta de détourner de la tête de son client la peine capitale, en faisant valoir l’état d’abjection morale dans lequel il était tombé par suite des pratiques invétérées de l’alcool, représentant NEEL comme un inconscient ayant perdu dans l’abus des boissons alcooliques, l’usage de ses facultés intellectuelles et ce libre arbitre qui dirige les actions humaines, mais M. BEHAGUEL insista surtout sur le défaut de concordance qui existait d’après lui entre le crime de vol et le meurtre, ce qui rendait passible seulement NEEL de la peine des travaux forcés à perpétuité.
Le Tribunal se refusa d’admettre l’état psychologique de NEEL décrit si savamment par l’honorable défenseur, et regarda NEEL comme ayant agi avec une responsabilité précise et entière. Le second argument n’eut pas plus de succès.
A son tour, M. SALOMON dit remarquer que la culpabilité d’OLLIVIER était douteuse au point de vue meurtre, COUPARD ayant cessé de vivre quand il avait été frappé par l’accusé.
Après une délibération assez courte, le Tribunal Criminel rapportait le verdict affirmatif sur toutes les questions posées, avec admission des circonstances atténuantes en faveur d’OLLIVIER, NEEL seulement était condamné à le peine de mort et OLLIVIER à dix ans de travaux forcés.
OLLIVIER s’en retirait à bon compte ; l’opinion publique, tout en respectant l’arrêt de la justice, pensa néanmoins qu’il y avait trop de disproportion entre les deux peines. Si NEEL méritait le peine capitale, la peine appliquée à son co-auteur n’était pas assez élevée.
Pendant la lecture de l’arrêt, NEEL ne donna aucun signe d’émotions. Avec son caractère gouailleur, son mutisme à propos de sa condamnation ne fut pas sans étonner. Mais ramené à la prison, il retrouva sa gaieté cynique habituelle disant aux gendarmes : » Ma foi j’ai bien fait de manger mes deux mille francs qui venaient de mon père « , et à la foule qui faisait la haie sur son passage : » Eh, vous autres, qu’est ce que vous avez à me regarder ? feriez mieux de me donner du tabac « .
Le 9 février, NEEL se pourvoit en cassation contre l’arrêt du Tribunal Criminel, mais pour parer à l’éventualité du rejet de son pourvoi, il forme un recours en grâce le 9 avril suivant.
Aux termes de l’article 30 de l’ordonnance organique du 18 septembre 1844, le Chef de la Colonie doit, en matière criminelle, ordonner en conseil l’exécution de la peine ou prononcer le sursis lorsqu’il y a lieu de recourir à la clémence de Chef de l’Etat.
Dans la circonstance, il ne pouvait être question de sursis puisque le renvoi en cassations est suspensif de l’exécution de la peine, mais au cas ou le pourvoi serait rejeté ou pour éviter des lenteurs, le Commandant de la Colonie réunissait le 11 avril son conseil privé pour examiner ce recours en grâce, et décider, s’il y avait lieu de l’appuyer, ou sur la nécessité qu’il y aurait de laisser à la justice son libre cours.
A l’unanimité, le conseil privé émettait l’avis que, dans un but de préservation sociale, il n’y avait pas lieu d’appuyer le recours en grâce du condamné, l’horrible cruauté qui marquait le meurtre de COUPARD excluait tout sentiment de commisération. D’autre part, il importait de ne pas laisser dans le public cette croyance que la meilleure excuse à présenter devant la justice était l’état d’ivresse.
D’ailleurs, à ces raisons s’ajoutait un autre qui n’était point en effet sans importance. Deux condamnation à mort pour assassinat en 1876 et 1886 avait été commuées en celles de travaux forcés à perpétuité.
Depuis lors, il faut bien le dire, ces deux mesures de clémence avaient eu pour résultat d’accréditer dans l’esprit de la population l’idée que la peine de mort était virtuellement abolie aux Iles Saint-Pierre et Miquelon faute de pouvoir l’y faire exécuter dans les formes prescrites par le code pénal français.
Il convenait donc de dissiper cette idée ; l’autorité administrative aurait donc l’obligation et le devoir d’intervenir en haut lieur pour que la justice suivit son cours si le Chef de l’Etat refusait la grâce de NEEL. Par arrêt en date du 12 avril, la Cour Suprême rejetait le pourvoi de NEEL. Le condamné n’avait plus qu’à attendre la décision du Président de la République.
Cette décision intervint fin de juillet, le recours en grâce était rejeté, la nouvelle télégraphiée à Saint-Pierre.
Et c’est ici qu’il s’agit de faire connaître les difficultés qu’éprouva l’autorité administrative pour assurer le cour de la justice, ainsi que les conditions dramatiques dans lesquelles NEEL fut mis à mort après une agonie morale qui devait durer 6 mois.
Le Gouverneur avisé du rejet du recours, demandait à Paris, par câble, l’envoi à Saint-Pierre de l’exécuteur des hautes œuvres, DEIBLER, avec son matériel. Le Département refusait ce déplacement ; mais il invitait le Gouverneur de la Martinique à expédier à Saint-Pierre et Miquelon le matériel en question, et Saint-Pierre était avisé télégraphiquement de cette combinaison le 26 juillet. Un nouveau télégramme annonçait le départ à cette date de la Martinique des bois de justice, mais qu’il y aurait lieu de trouver sur place un exécuteur.
Ce télégramme levait en partie, il est vrai les difficultés que rencontrait l’exécution de NEEL ; cependant, trouver un exécuteur sur place n’était pas chose facile dans un petit centre où tout le monde se connaît et se préoccupe de savoir ce que son voisin pensera de lui. A l’arrivée des bois de justice, le Gouverneur comptait s’adresser à divers corps de métiers dans la population civile, bien qu’étant à peu près persuadé que les démarches qu’il entreprendrait en ce sens se heurteraient à des refus.
Dans ce cas, il ne voyait alors d’autres possibilités de trouver son exécuteur et des aides qu’en faisant appel aux hommes de bonne volonté du détachement de disciplinaires. Le Capitaine LEBORGNE, Commandant du détachement, pressenti, pensa que peut-être on pourrait obtenir de quelques uns de l’office, qu’on leur demanderait en faisant luire à leurs yeux certains avantages, comme la remise du temps de service qui leur restait à accomplir et une gratification pécuniaire. On s’adressait d’abord à ceux qui seraient prochainement libérables et s’ils acceptaient, ils pourraient être renvoyés en France par l’Aviso transport : LE DRAC.
La guillotine arrivait à Saint-Pierre le 22 août, c’était une machine très vieille datant presque du début de son invention. Ne disait-on pas qu’elle avait servi à l’exécution de la malheureuse Reine Marie Antoinette et il y manquait la plate-forme avec sa demi douzaine de marches.
Le couperet était suspendu au sommet au moyen d’une corde passée dans une poulie, il suffisait de dérouler rapidement cette corde du taquet qui la retenait fixé sur un des montants pour que l’instrument de mort accomplit son œuvre.
L’exécution fut fixée au 24 août.
Comme il s’y attendait, le Gouverneur ne trouva aucun ouvrier qualifié qui voulut bien consentir à remplir le triste office qu’on sollicitait de lui.
Tous les corps de métier se récusèrent.
Par l’intermédiaire du Capitaine LEBORGNE, il s’adressa alors aux hommes de la Compagnie de disciplinaires, mais à sa grande surprise il reçut de ceux-ci un refus formel, quels que fussent les avantages qu’on leur promettait. Il fallait, cependant en finir. A qui s’adresser ? On ne savait trop et l’anxiété était à son comble dans les bureaux administratifs lorsque le Procureur de la République réussit enfin à tirer tout le monde d’embarras. Il mandat à son Cabinet un nommé LEGENT Jean Marie, marin pêcheur condamné récemment à trois mois de prison pour vol.
C’était un paresseux préférant marauder que de se livrer à son métier. Le Chef du Parquet lui ayant promis qu’il lui serait fait grâce de sa peine de prison et qu’il recevrait en outre une somme de 500 francs s’il consentait à remplir l’office de bourreau, LEGENT accepta. Il aurait comme aide son frère utérin BANNECH Guillaume, individu peu recommandable. Il était temps, on était vendredi matin et l’exécution, nous l’avons dit, devait avoir lieu le lendemain matin à l’aube.
Mais avant de procéder, il parut indispensable, afin de n’être pas pris au dépourvu au dernier moment, de s’assurer que la guillotine était en état de bon fonctionnement. Et bien l’on fit. La machine fut montée dans l’atelier des travaux publics. Un veau servit de victime…innocente. L’animal est décapité, mais pas complètement cependant, la tête reste suspendue à un lambeau de chair que l’on tranche au couteau.
Pareil incident pouvant se produire le lendemain, LEGENT est invité à se prémunir d’un couteau à piquer la morue.
Le veau dépecé fut distribué au personnel des travaux publics mais au moment de le servir, il paraît que nul ne voulut en manger.
A noter que M. BEHAGUEL, défenseur de NEEL crut devoir protester auprès du Procureur de la République au sujet des conditions dans lesquelles devait être exécuté l’arrêt de justice, la charge d’exécuteur des hautes œuvres ne pouvant être exercée que par l’agent légalement investi de cette fonction.
Le parquet répondit par une fin de non-recevoir basée sur le câble ministériel du 26 juillet.
Et nous voilà enfin au maint de l’exécution.
Un soleil radieux, après plusieurs semaines de brume intense, va éclairer la scène tragique.
La plus grande partie de la population est sur pieds.
NEEL dira à son réveil au petit jour qu’il a entendu toute la nuit pas mal de gens circuler dans la rue CARPILLET et causant à assez basse voix. Sa cellule en effet n’est séparée de cette rue que par une cour très étroite que protège un mur de trois mètres de hauteur, il déclare que ce bruit anormal » Ne lui disait rien de bon « .
Il venait à peine de s’endormir lorsqu’on l’avait réveillé.
Il était en effet à peine trois heures et demi lorsque MM. CAPERON, Procureur de la République, SIEGFRIEDT, Greffier, le R.P. CADORET désigné comme aumônier par le Préfet Apostolique et SIGRIST, concierge de la prison pénètrent dans la cellule du condamné.
Très doucement, le Procureur de la République le touche à l’épaule. NEEL ouvre les yeux et se dresse sur son séant. A la nouvelle qu’il n’a plus de grâce à attendre que dans la miséricorde divine, il répond » Oh, la mort ne me fait pas peur » et il ajoute » il y a longtemps que je serais mort sans M. et Mme SIGRIST ; ils ont été très bons pour moi. Je veux les remercier avant de mourir « . Alors le gardien de la prison fort émotionné lui dit » mon pauvre NEEL, du courage » et tout en discourant gravement sur les motifs de sa condamnation, NEEL s’habilla sans tâtonnement, sans que ses mains soient agitées du plus léger tremblement, refusant l’aide du gendarme DANGLIAS qui se tient à l’entrée de la cellule.
NEEL passe l’étroit couloir de la prison dans lequel se tiennent quelques fonctionnaires, le jeune Docteur CALMETTE, le lieutenant de Marine BRUNAUD et deux correspondants de journaux anglais, et pénètre au greffe de la prison où il doit subir les funèbres apprêts de la dernière toilette des condamnés à mort.
C’est SIGRIST, aidé d’un gendarme qui est chargé de cette corvée. Il s’assied sur une chaise sans dossier, mais au lieu du ligotage ordinaire des bras avec des liens, on lui passe une chemise de force aux extrémités des manches de laquelle sont fixés des lacets. Seules les jambes sont attachées avec une légère corde.
Pendant ces apprêts, NEEL accepte d’abord un verre de vin, puis un bol de thé chaud qu’il déguste à petite gorgées. Avec un sang froid qui confond tous les assistants et une liberté d’esprit vraiment inouïe dans des circonstances pareilles, il passe en revue tous les événements de sa vie de marin. Entr’autres réflexions, il fait celle-ci » qui aurait cru que la terre m’aurait, moi qui aurais du périr cent fois en mer « .
Puis laissé seul avec l’aumônier, NEEL reçoit les secours de la religion. Au moment de monter avec le R.P. CADORET dans le cabriolet fermé qui doit le conduire au lieu du supplice, NEEL qui est enragé chiqueur de tabac demande au gardien de la prison de lui passer une chique ; » la dernière » dit-il. SIGRIST qui en conservait pour la consommation de son prisonnier lui en met une dans la bouche.
Enfin, à quatre heures 30, le véhicule s’ébranle escorté par deux brigades de gendarmes à pieds, commandées par le Maréchal des Logis PITOLAT ; le cortège emprunte les rues TRUGUET et GERVAIS, soit un parcours de sept cents mètres environ avant d’arriver à la place de l’Amiral COURDET au centre de laquelle est montée la guillotine. Ce trajet demande plus de vingt minutes car le cheval marche au pas.
Une foule compacte parmi laquelle on remarque quelques femmes se tient silencieuse, maintenue à distance par un cordon de la compagnie de disciplinaires.
Le condamné descend de voiture et d’un pas ferme s’achemine vers la guillotine dont la vue ne parvient pas à amollir le courage.
Reconnaissant LEGENT, il lui reproche le redoutable service qu’on attend de lui, puis il passe sur la plate-forme d’un pied de hauteur et s’adressant à la foule d’une voix forte, il dit » Que mon exemple serve de leçon, j’ai tué, on va maintenant me tuer, ne faites pas comme moi « .
Alors il embrasse le crucifix que l’Aumônier lui présente et lui demande de vouloir bien accompagner son cadavre au cimetière ne voulant dit-il » être enterré comme un chien « .
Pendant que le R.P. CADORET s’agenouille au pied de l’échafaud, les exécuteurs s’emparent de NEEL qui ne se débat pas ; ils mette un temps infini à l’attacher sur la fatale bascule avec les courroies dont elle est munie.
Enfin, le condamné est basculé sous le couperet, la lunette est rabattue. Mais alors se produit un moment poignant, horrifiant, les exécuteurs perdent la tête jetant des regards affolés de tous cotés, principalement sur le groupe des officiels qui se trouve à quelques pas de la guillotine, ils semblent solliciter un conseil, un ordre de ce qu’il faut faire, ne comprenant rien aux gestes désespérés du Procureur de la République qui leur fait signe de dérouler la corde qui retient le couperet.
Pendant ces quelques minutes interminables, qui semblent des siècles, NEEL crie à LEGENT : » Vas-y donc et surtout ne me manque pas « , il joue des épaules et du cou pour tenter de soulever la lunette, pendant que le Maréchal des Logis PITTOLAT l’implore de se tenir tranquille et de baisser la tête.
NEEL obéit et à ce moment crache sa chique dans le seau destiné à recevoir son chef.
Enfin, l’exécuteur LEGENT a repris son sang froid et lache la corde ; le couperet tout en brinquebalant dans la rainure des montants, s’abat lourdement. » JUSTICE EST FAITE « . Mais comme on l’avait prévu, la tête décapitée reste suspendue sur le bord du récipient. LEGENT prend son couteau et vivement tranche l’adhérence.
Au lieu d’être placé dans un endroit discret, le cercueil destiné à recevoir les restes du supplicié avait été au contraire disposé devant la guillotine, de sorte que le malheureux NEEL put le contempler durant sa terrible agonie. Après cette dramatique exécution, la foule s’écoula silencieusement, fortement impressionnée par ces incidents macabres. Le Procureur de la République Maurice CAPERON se trouvait sous le coup d’une véritable émotion ; il se met à pleurer à chaudes larmes et confie à celui qui écrit ces lignes que jamais plus il ne requerra la peine de mort.
Le docteur CALMETTE lui-même qui avait demandé le transport du cadavre pour études anatomiques, renonce à son projet. NEEL est donc conduit directement à sa dernière demeure suivi du R.P. CADORET.
Ce même jour dans la matinée, Monsieur VENOT, Magistrat qui avait prononcé la peine de mort contre NEEL fit remettre au Préfet Apostolique par l’auteur de ce récit, une somme d’argent pour la célébration de plusieurs messes basses à l’intention de l’âme du condamné.
L’exécution de NEEL eut un épilogue singulier et assez suggestif, nous le rappelons sans commentaires.
L’opinion publique réprouva à un tel point la charge que LEGENT avait acceptée que cet individu, cependant marié et père de deux enfants en bas âge, sollicita en vain du travail, personne ne voulut l’employer .
La campagne de pêche étant à peu près terminée, LEGENT se voyait contraint de rentrer en France. Il fut rapatrié gratuitement avec sa famille et son demi-frère BENECH sur le transport de guerre LE DRAC, le 17 septembre. Faisant toutefois preuve d’une certaine honnêteté, il voulut avant de quitter la Colonie, régler ses dettes avec les 500 francs reçus pour la fonction qu’il avait remplie. Mais aucun des ses créanciers ne consentit à recevoir en paiement » Le prix du sang » ; ils acquittèrent purement et simplement les comptes que leur débiteur leur présenta.
Oh inconscience humaine, ce bon peuple de Saint-Pierre, ne désigna plus depuis cette époque la place de l’Amiral COURBET que » PLACE NEEL « . C’est ainsi que l’on fait passer un criminel à la postérité.
Saint-Pierre, le 19/2/1930
Emile SASCO, Greffier en Chef des Tribunaux.
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Jeanne Joséphine Bagot, née il y a 160 ans, la protagoniste oubliée de « l’affaire Néel »
Néel, la mort pour seul destin
Par Rodrigue Girardin. Services des Archives
La dénommée « Affaire Néel » semblerait tourner autour d’une personne écartée des chroniqueurs, Jeanne Joséphine Bagot. Aurait-elle conclu un pacte quelconque et lourd de conséquences ? A-t-elle été l’objet d’une malédiction qui a frappé ceux qui lui étaient proches ? En tout cas, les familles Coupard et Néel en seraient les victimes.
L’an mille huit cent cinquante quatre, le cinq octobre, à 11h00, on célébrait un mariage à la Mairie de Saint-Pierre devant l’officier d’Etat-Civil Louis Lemoine. Il unissait ‘pour le meilleur et pour le pire’, selon la formule consacrée, Joseph Auguste Coupard, né à Saint-Pierre, 23 ans et la demoiselle Jeanne Joséphine Bagot, née à Bacilly (Manche) le 15 avril 1833, orpheline de père depuis l’âge de 13 ans et demi.
De cette union, naquirent deux filles : Gracieuse en 1855, qui vécut moins de deux mois, et Marie Joséphine, née en 1856, se maria à Louis Mancel le 14 janvier 1878 à l’Ile-aux-Chiens et mourut neuf ans plus tard des suites de son cinquième enfantement.
En 1858, Jeanne Joséphine Bagot, 25 ans, se retrouva veuve avec une fillette âgée à peine de deux ans à élever.
Elle porta le deuil pendant un laps de temps et se prépara une nouvelle idylle avec un Normand de Carolles (Manche), Auguste Néel. Le 2 février 1860, elle saisit les autorités judiciaires afin de faire enregistrer le décès de son époux, disparu en mer en mai 1858. Deux semaines plus tard, elle se remariait avec notre Normand précité et le 28 mai de la même annee, elle mettait au monde son premier garçon, Joseph Auguste. Deux autres garçons allaient voir le jour: Gustave et Hyppolite.
Voyons maintenant un autre protagoniste: l’agent de police responsable de l’arrestation de Joseph Auguste Néel. Joseph Auguste Coupard, premier mari de Jeanne Joséphine Bagot avait un frère, son aîné d’un an qui disparut sur les bancs de Terre-Neuve en 1857, laissant derrière lui sa veuve et deux enfants, Aglaë et Paul Aristide. Aglaë, née en 1853, épousa en 1883 un nommé Lecoq, elle décéda à Saint-Pierre en 1934. Paul Aristide, né en 1855, exerça d’abord la profession de marin avant d’embrasser la carrière d’agent de police. Il se mariera en 1881 à Saint-Pierre avec une demoiselle Lecaroz. Ils eurent deux enfants : Marie, née en 1882 et morte à cinq ans, et Joseph, né en 1887 et décédé le 12 juin 1889.
L’enfance de Joseph Auguste Néel (que nous nommerons dorénavant de son nom patronymique) a été très courte et, on peut malheureusement le dire, difficile.
A l’âge de 4 ans (sans doute), il fréquente les bancs de l’école de l’lle-aux-Chiens. Deux ans plus tard, le 19 octobre 1867, premier choc familial : la mort de sa mère qui venait de mettre un troisième garçon au monde. Six mois passent et survient, en 1868, le décès de son frère dernier-né. Cette même annee, dans un état des mouvements survenus dans l’école, on signale qu’à 7 ans, « il commence à lire ». Gustave, son frère cadet de cinq ans a les mêmes appréciations. L’annee suivante, 1869, Gustave décède à l’âge de six ans.
Alors que Néel n’avait pas encore neuf ans, trois êtres chers avaient quitté sa vie.
Après s’être assis pendant peu de temps sur les bancs d’école, il usera ses fonds de pantalons pendant plus longtemps sur les bancs… des doris. D’après une estimation de sa carrière maritime, encore enfant, à 10 ou 11 ans, il s’embarque en tant que mousse pour pratiquer le métier de pêcheur.
A 19 ans, un autre tournant semble se dessiner devant lui. Il navigue au cabotage avec le grade de matelot sur la goélette ‘Julia’. Il sera considéré déserteur à New York le 14 février 1879. Par décision du 9 juin de la même annee, le Commissaire de la Marine lui infligera 5 jours de prison « pour absence ». Mais il fut acquitté par jugement en date du 23 décembre suivant (il avait tout de même purgé ses cinq jours). Il faut noter que l’on considérait comme déserteur, celui qui avait rompu son contrat d’engagement avec son capitaine ou armateur, soit par la fuite (pour échapper aux obligations militaires), soit par une absence illégale du bord, soit encore si le marin n’avait pas regag né le bord avant le départ du bâtiment.
On réentendra parler de Néel alors qu’il était embarqué en 1885 sur la goélette « Volant », du port de Miquelon, capitaine Othéguy. Néel avait reçu des avances (en marchandises comme cela se passait souvent) et avait commencé la pêche dans le Golfe du Saint-Laurent. Alors que le navire faisait relâche à Port-au-Port (Terre Neuve) et que le capitaine était convié à un repas par le patron d’une autre goélette, notre homme réunit ses affaires et déclara au mousse et au novice qui se trouvaient à bord ‘qu’il partait pour ne plus revenir’.
On ne sait s’il fut repris ou s’il décida de revenir, de même, ne sait-on pas quel jugement lui fut rendu pour cet acte de désertion.
On le retrouve en 1887 à SaintPierre alors qu’il vend une propriété sise à l’lle-aux-Chiens. Le 31 janvier 1888, restes de la succession de son père, il vend quatre portions de terre en Normandie.
Pour terminer, avec un complice, il assassinera le patron de ce dernier à l’lle-aux-Chiens pendant la nuit du 30 au 31 décembre 1888. La victime se nommait François Coupard, 61 ans, natif de Bacilly (Manche). Après avoir vainement tenté de fuir vers la côte anglaise de Terre-Neuve, ils furent arrêtés par le neveu de la mère de Néel, Paul Coupard.
Le concierge Sigrist, de la maison d’arrêt de Saint-Pierre, signale dans une note du 25 février 1889, que Néel trompe l’ennui en chiquant ses tricots à défaut de tabac. Il demande en outre une ration de nourriture supplémentaire pour Néel et son acolyte car celle qui leur était accordée lui semblait insuffisante. Après avis du fameux Docteur Calmette, on la leur accorda, ‘en raison de leur robuste consistance’.
Alors que sa mère fut veuve en 1858, que son père fut veuf en 1867, Néel devait mourir sur la ‘veuve’ le 24 août 1889 à cinq heures.
Merci infiniment, cher Monsieur Bruno, de ces bien riches informations.
Cordiales salutations à Vous là-bas. Mes amitiés.
A noter que cette « Veuve » est toujours sur Saint-Pierre et Miquelon. Longtemps entreposée, démontée, dans un bâtiment de l’administration, elle est aujourd’hui exposée dans le musée de la ville de Saint-Pierre. Un des attraits et vestige de notre archipel, même si on ne souhaite pas se glorifier d’une telle machine.
C’est à voir donc pour qui vous visiterait alors. Merci beaucoup.
Bonjour M Provencher, merci à vous d’avoir déniché cette affaire véridique. Je viens de publier cinq articles contemporains de cette affaire sur mon site consacré à l’histoire des îles Saint-Pierre et Miquelon, le Grand Colombier.
1886-1887 – Affaire Carlos Zuguarregui : Le Gaulois, 5 janvier 1887 UNE COLONIE DANS L’EMBARRAS
1886-1887 – Affaire Carlos Zuguarregui : Le Radical, samedi 8 janvier HOMMES ET CHOSES Un Condamné embarrassant
1886-1887 – Affaire Carlos Zuguarregui : La Croix, 6 janvier (Numéro 1096) GAZETTE DU JOUR A ST PIERRE MIQUELON UN HOMME QU’ON FAIT BIEN ATTENDRE
De plus, j’ai retrouvé la décision du président de la République d’alors vis à vis de cette exécution et pour terminer une délibération du Conseil général pour son épouse et son enfant.
Merci beaucoup, cher Monsieur Cormier, d’apporter autant d’eau à notre moulin. Vraiment, on peut suivre à la trace cette histoire sur votre site internet.
A trois reprises, entre 1876 et 1889, le tribunal de Saint-Pierre prononça la peine de mort : si Recoursé et Zuzuarregui échappèrent à la mort, ce ne fut pas le cas de Néel.
Cependant, la guillotine exposée à Saint-Pierre n’est pas celle qui servit pour l’exécution de Néel. Pour ce condamné, on fit venir la guillotine de Martinique, un modèle de la Révolution française, peu pratique à manipuler pour le néophyte et sans doute en mauvais état.
C’est ainsi que vers 1890, le gouvernement français fit construire plusieurs guillotines modèle Berger à destination de ses colonies (Indochine, Nouvelle-Calédonie, Guyane…), dont une pour Saint-Pierre et Miquelon ; on s’était dit qu’avec trois condamnations capitales en treize ans – soit plus que certains départements de métropole – , il n’était pas exclus que des bois de justice conservés de façon permanente ne trouvent pas une utilité dans les années à venir.
Ce ne fut pas le cas, et la machine ne servit jamais. Il s’agit d’ailleurs d’un cas rare, car si une dizaine de guillotines sont exposées dans des musées à travers le monde, il s’agit de la seule demeurée intacte, c’est-à-dire ne comportant que ses pièces d’origine, lesquelles n’ont jamais été modifiées.
Merci beaucoup, cher Monsieur Larue, de toutes ces infos.