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«La bûche de Noël, une vieille coutume»

feu foyer poeleLe 27 décembre 1907, Le Progrès du Golfe (Rimouski) propose un texte sur la bûche de Noël et les coutumes l’entourant, un écrit non signé, sans doute d’origine française, qui lui est parvenu assurément par le télégraphe.

On la brûle encore, la bûche de Noël. On la brûle chaque année un peu partout; en plus d’un canton de notre France et de l’autre côté des Alpes et de l’autre côté de la Manche.

C’est une très vieille coutume, sainte peut-être, tenace à coup sûr, que la superstition dispute toujours à la religion. Les auteurs ecclésiastiques ne le cachent guère. Au reste, on signale, dès le haut moyen âge, la «bûche», chez les peuples du Nord : elle s’appelait communément «Yule-block», «Weinnachtsblock», «Christblock»». Elle est probablement un reste des anciennes fêtes païennes de «Yule».

Jusqu’à ces derniers temps, en Italie, la fête de la Bûche «ceppo» avait un prélude pittoresque. Des hommes, aux cheveux flottants, dévalaient les rudes sentiers des Abruzzes. Sur leur tête, ils avaient un chapeau pointu, orné de rubans de toutes nuances; autour du torse, une veste courte, aux couleurs vives. Leurs pieds étaient chaussés de sandales de peau. Ils avaient aux mains le fifre et la cornemuse. C’étaient les «pifferari».

À Rome, ils allaient devant les madones; ils jouaient au «bambino» Jésus leur musique agreste et ingénument dévote. Dans la Sicile contemporaine, on entend toujours à l’occasion de Noël, la cornemuse du «ciarammiddaru» et aussi l’aigre mélopée du violoniste aveugle : il va de porte en porte proposer sa chanson.

En France, au cœur des montagnes dauphinoises, on accourt, bien souvent, de très loin, pour goûter la douceur de se réunir autour de la bûche. À Montpellier, il y a quelque trente ans, [Frédéric] Mistral rappelait que ses compatriotes de jadis auraient fait cent lieues et plus, traversé les mers, franchi les monts, pour être, une fois au moins, présents à la fête familiale.

La règle, en Provence, était de prendre pour la bûche le tronc d’un arbre fruitier. Aux environs de la Durance, parents, amis, serviteurs, escortaient pieusement la bûche. Le plus âgé la tenait à un bout, le plus jeune à l’autre bout. On faisait ainsi le tour de la cuisine, par trois fois. Devant l’âtre, on s’arrêtait. Le père de famille aspergeait la bûche avec du vin cuit et la bénissait. Il faisait ce vœu : «Qu’à Noël prochaine, si nous ne sommes pas plus, nous ne soyons pas moins !» Puis la bûche était mise au feu. Le père se signait et disait : «Bûche de Noël, embrase-toi.»

En Angleterre, la bûche, apportée en grande cérémonie, est allumée avec le tison survivant à la bûche de la Noël précédente. Durant une année, ce tison est une relique.

En Toscane, on bande les yeux aux enfants. Ils tournent autour de la bûche, ils la frappent à coups de pincettes et ils chantent l’«Ave Maria de la bûche». Cet air a une vertu; il déchaîne, sur leurs têtes, une pluie bienfaisante de bonbons et de mignons cadeaux.

La bûche et les «chandelles de Noël» doivent brûler selon des rites définis. Les Anglais veulent que la bûche ne se consume pas avant l’aube. Si elle s’éteint trop tôt, c’est un présage funeste. Il ne faut pas non plus que survienne une personne qui louche ou boite.

Les Provençaux redoutent pour leur part que la mèche de l’une des trois chandelles ne se tourne du côté de quelqu’un. Mais, boiteux ou non, les mendiants peuvent se présenter. Au premier qui passe, on donne un quart du «pain de Noël».

En Normandie, les indigents viennent demander «un p’tit cagnon», et leur malice ajoute : «Si vous n’voulez pas l’couper, donnez-moi le pain tout entier».

Pendant que le feu dévore la bûche, les rasades, les chansons, les histoires vont leur train. Gaies ici, plus tristes ailleurs, suivant l’humeur de la race et le génie des gens. En Bretagne, la voix des vieux raconte ce que racontaient déjà ceux d’autrefois.

Dans le pays de Morlaix, de Léon ou de Vannes, les paysans parlent du défilé sinistre qui, la nuit de Noël, traverse l’Armorique. Ce sont les Korrigans armés de marteaux, c’est le garçon à grosse tête, c’est l’Homme-Loup, c’est le cheval trompeur ou le dragon gardien des trésors.

Les femmes savent bien que, cette nuit-là surtout, le diable des carrefours vient acheter aux imprudents la poule noire; que les lavandières nocturnes errent lamentablement et que, dans les cimetières, dansent les flammes bleues.

 

Quand les Français sont venus, ils avaient avec eux, sur le bateau, leur langue du 16e siècle, celle de Cartier et Roberval, Montaigne et Rabelais. Mais je ne crois pas qu’ils aient apporté la bûche de Noël de bois. Même la bûche-gâteau ne semble pas apparaître plus tard, dans l’iconographie du 19e siècle.

Il faut dire, cependant, que j’ai trouvé cette mention dans le quotidien de Québec, Le Soleil, du 24 décembre 1900 : «Quel réveil ce sera demain matin pour des millions d’enfants par tout l’univers ! Le jour de Noël est, en effet, le jour des cadeaux chez tous les peuples de langue anglaise, tout comme le jour de l’An l’est pour les populations de langue française. Dans bien des familles françaises chez-nous, on a conservé les vieilles traditions de dresser à la maison l’arbre de Noël chargé de joujoux pour les enfants et l’on fait brûler la bûche comme nos pères.»

4 commentaires Publier un commentaire
  1. Esther #

    Je me demande… à quel moment, environ, on est passé des étrennes du Jour de l’An aux cadeaux de Noël, chez les Canadiens-français ? Du temps où ma mère(née en 1924) avait souvenir, disons autour des années 1930-35, c’était encore l’ancienne mode…

    23 décembre 2014
  2. Jean Provencher #

    Ça ne s’est pas fait de manière subite, chère Esther. Dans des communautés où il y avait des Anglophones à proximité, prenant exemple, on est passé dès la fin du 19e siècle; dans d’autres, ce fut plus tardif.

    23 décembre 2014
  3. Esther #

    Peut-être les années d’après-guerre, la venue de la télé, ont précipité certains changements…

    23 décembre 2014
  4. Jean Provencher #

    Le passage était commencé bien avant ces moments. Facilement cinquante ans auparavant dans une ville comme Montréal, par exemple. Et, René Lévesque me disait qu’en Gaspésie, durant les années 1920, c’est saint Nicolas qui apportait les cadeaux, et non l’Enfant Jésus ou le Père Noël.

    23 décembre 2014

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