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L’automne en octobre, selon Françoise

automneRobertine Barry (1863-1910), la première femme journaliste québécoise, originaire de L’Isle-Verte, écrivait sous le pseudonyme de Françoise. On dit qu’elle fut l’amie du poète Émile Nelligan. Pendant un moment, elle tient une chronique hebdomadaire dans le quotidien montréalais La Patrie, une chronique que j’aime bien. La voici ici sur le sujet de l’automne en octobre dans l’édition du 8 octobre 1894.

Avez-vous déjà remarqué ce qu’il y a de doux et de mélancolisant dans un beau jour d’automne ?

Ces jours tièdes et pâles, ce ciel bleu à demi voilé, ont une attirance et un charme particuliers.

Il règne sur toutes choses un calme et un repos qui étendent leur bienheureuse influence jusque sur l’âme.

La nature semble dans une inaction complète après avoir travaillé tout le printemps et l’été; elle se recueille quelque peu avant de dormir ces longs mois de l’hiver, enveloppée d’un épais manteau de neige.

C’est tout un poème que cette forêt, dont les têtes arrondies forment encore au-dessus de nos têtes comme des arcs de triomphe à mille reflets divers.

La feuillée, qui n’est plus aussi abondante, a des trouées nombreuses, laissant apercevoir des petits coins du firmament de couleur indécise.

Déjà les chemins sont presque déserts et les amoureux ont oublié, — quoi, sitôt ! — les sentiers étroits, témoins de leurs serments.

Le silence s’est fait partout.

Le silence, imposant et solennel, qui vous fait parler bas, et qu’on craint de troubler par un éclat de rire.

L’oiseau s’est tu; ici bas, dit le poète, Tous les chants des oiseaux sont courts, et maintenant pas un gazouillement ne trouble la ramure.

Où sont-ils allés ces hôtes charmants de nos solitudes ?

Ils sont partis je ne sais où, chanter leurs mélodies suaves sous un ciel plus clément, bercés par la brise plus chaude qu’embaumeront toujours d’enivrants parfums.

Tout se tait donc; on n’entend pas même sous l’herbe le frémissement des insectes et, sur l’épais tapis de gazon, des feuilles brouies craquent sous nos pas avec le bruissement de la soie.

Les fleurs n’ont plus de fraîches éclosions.

C’est fini de l’été, fini les jours pleins de soleil et des belles soirées au dehors à regarder les étoiles.

Pourtant, ce ne sont point encore les bises glaciales de novembre, les nuages de deuil jetés à travers un ciel décoloré, la tristesse et la désolation de la nature dépouillée de ses ornements.

Ce n’est pas encore la mort dans ses lugubres apparats, mais c’est un pressentiment de tout cela qui nous fait chérir davantage les dernières jouissances de l’heure présente parce qu’elles ne sauraient guère durer.

Les tons changeant du feuillage sont admirables de beauté.

J’ai vu hier, dans le parc, des érables se détachant au milieu des pins sombres comme des bouquets flamboyants. Un rayon de soleil se glissant à travers les branches faisait briller d’une manière plus vive le chaud coloris de leurs feuilles empourprées.

Je les ai longtemps regardées sans me lasser dans mon admiration.

 

On a parlé à maintes reprises de Robertine Barry sur ce site.

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