L’arbre et l’eau, des «ennemis»
Historiquement au Québec, à la campagne, on tolérait bien, près de la maison, des arbustes, des massifs floraux, mais le grand arbre n’avait pas sa place. On le souhaitait bien éloigné. Qu’est-ce donc qui nous amenait à imaginer qu’il pouvait quasiment être un ennemi ? La puissance de la végétation ? Le fait qu’on devait s’y colleter avec ardeur lors de l’ouverture de territoires de colonisation ? On aimait bien l’arbre, mais tout au fond, dans la partie de la terre dite «en bois debout». Dans La Gazette de Joliette du 16 septembre 1887, un certain R. Bellemare réfléchit au déboisement et au dessèchement.
Il y a deux mesures qu’on a peut-être dépassées dans notre province, en poursuivant nos défrichements. D’abord, on a fait une guerre d’extermination à la forêt, et, aujourd’hui, nos champs cultivés et alternativement en friche se trouvent trop complètement dépouillés de ces arbres qui offrent un ombrage protecteur aux bestiaux pendant la saison des chaleurs.
On a même vu, cette année, des cultivateurs intelligents élever des tentes ou abris temporaires pour offrir à leurs animaux cette protection nécessaire contre les ardeurs du soleil, tandis qu’un bouquet d’arbres ou quelques arbres isolés auraient plus efficacement rempli le même but.
Le remède à ce mal est facile à trouver; qu’on plante des arbres dans les endroits propices et qu’on ait soin de protéger leur croissance jusqu’à ce qu’ils soient assez forts pour être utiles.
D’un autre côté, sous le prétexte d’assainir et d’égoutter les terres, on a produit, dans beaucoup d’endroits, un véritable dessèchement : des savanes, des étangs et des marais naturels, placés ça et là par la Providence, ont disparu.
Mais, dira-t-on peut-être, à quoi servent ces terrains toujours humides, toujours fangeux, toujours impropres à la culture ? Ne valait-il pas mieux par un bon système d’égouts et de drainage en faire des terres labourables et fertiles ?
La saison de sécheresse que nous venons de passer suggère, à ce sujet, une théorie qui méritera peut-être l’attention de nos agronomes et de nos défricheurs.
Les anciens doivent se rappeler qu’avant l’assèchement de ces terrains perpétuellement humides, des étangs et des marais naturels, il y avait peu de terres où l’on ne trouvait pas de bons puits et de bonnes fontaines pour abreuver les animaux durant toutes les saisons. Il suffisait de creuser la terre à quelques pieds de profondeur, dans la saison d’été, pour y trouver l’humidité et la fraîcheur, et quelques pieds plus bas la belle eau vive. […]
Depuis l’assèchement de ces réservoirs naturels et le remplissage des baissières, ces fontaines et ces puits autrefois intarissables ne donnent plus l’eau nécessaire à l’abreuvage des animaux. On a tellement perfectionné les moyens d’écouler les eaux qu’elles n’ont plus le temps de pénétrer le sol avant d’arriver à la rivière et au fleuve.
La conséquence nécessaire de ce système est qu’il n’en reste plus assez dans les couches supérieures de la terre. On a trop desséché. Aussi, nous voyons aujourd’hui, ce qui n’arrivait pas autrefois, des cultivateurs obligés de charroyer l’eau de la rivière à des distances de plusieurs milles pour de nombreux troupeaux.
Une autre conséquence également inévitable, c’est que ces eaux se précipitant plus rapidement dans les rivières les gonflent soudainement, enlèvent les ponts, emportent les chaussées et endommagent les travaux hydroliques [sic]. C’est aussi la cause principale des débordements plus fréquents de notre grand fleuve. […]
L’eau, c’est le sang de la terre, et, si nous desséchons les veines et les cavités destinées à contenir et à faire circuler ce sang bienfaisant, si nécessaire à la vie végétale, nous la rendons presque stérile, ne lui laissant que les pluies et les rosées du ciel pour la rafraîchir.
La photographie, prise par Omer Beaudoin en 1949, d’un repas au champ chez Jos Dumont à Mont-Joli est déposée à la Bibliothèque et Archives nationales du Québec à Québec, Fonds du ministère de la culture et des Communications, Office du film du Québec, Documents iconographiques, cote : E6M S7, SS1, P73685.