Vive le Cormoran !
Cet oiseau n’est pas aimé au Québec. Est-ce à cause de son vêtement ? De son allure ? Du fait qu’il arrive à coloniser des îles «nobles» y laissant sa fiente en abondance ?
Dans Les oiseaux nicheurs du Québec, Atlas des oiseaux nicheurs du Québec méridional (1994), sous la direction de Jean Gauthier et Yves Aubry, Robert Alvo, l’auteur du texte sur le Cormoran à aigrettes (Phalacrocorax auritus, Double-crested Cormorant), écrit qu’à la fin du 19e siècle et au début du 20e siècle, l’oiseau «a été tellement persécuté en Amérique du Nord, qu’il a fini par abandonner complètement un certain nombre de ses colonies».
En 1994, on recourt à un «programme» pour réduire la population reproductrice de Cormorans à aigrettes dans l’estuaire du Saint-Laurent en raison, dit-on, des dommages causés par l’oiseau à la végétation, notamment au couvert végétal où niche l’Eider à duvet. «Parrainé par le gouvernement provincial, écrit Alvo, ce programme prévoit la chasse aux adultes, la destruction de nids et la vaporisation des œufs avec une substance huileuse causant l’asphyxie des embryons.»
Cela dit, sait-on que l’oiseau se domestique et peut être un auxiliaire pour la pêche ?
Allez, relisons Jean-Camille Fulbert-Dumonteil (1831-1912) dans La Patrie du 4 juillet 1890.
Les fleuves et les mers n’ont pas de pêcheur plus habile que le cormoran. Perché sur les falaises, ses petits yeux fixés sur le grand océan, il guette la matelote ou la friture qui surgit dans l’écume du rivage, s’élance sur sa proie, l’avale ou la rapporte à son maître quand il a reçu une bonne éducation.
Mais il est bon de dire que, pour éviter toute soustraction frauduleuse, on passe au cou de l’oiseau une lanière ou un anneau qui empêche le cormoran d’avaler son butin.
Sur terre, cet oiseau est un poids; dans l’eau, c’est une flèche. C’est plaisir de le voir, au bord des rivières et des étangs, fouiller comme un chien d’arrêt les herbes et les racines, déloger le poisson, le tirer par la queue, le poursuivre avec la rapidité de l’éclair, décrire des cercles qui le troublent, opère des crochets tournants, forcer le poisson le plus agile, le saisir et remonter à la surface de l’eau, retourner sa proie qu’il étreint par le milieu du corps, l’avaler par la tête ou bien le faire sauter en l’air, le recevoir, avec la précision mathématique d’un jongleur, dans sa bouche, un abîme !
Le cormoran a sa page, une page brillante et originale dans l’histoire de la fauconnerie française. Vers le seizième siècle, nous voyons les Hollandais introduire en Europe la pêche au cormoran, qui, bientôt après, se pratique en France et en Angleterre. Sous Henri IV et sous Charles 1er, rien n’était plus envié que la charge de «grand-maître des cormorans du roy».
C’est en Chine que cette pêche se trouve pratiquée sur une grande échelle. C’est tout à la fois une industrie et une fête, un sport national. Tandis que les spectateurs se pressent le long des rivières, on voit surgir mille barques éblouissantes, aux proues sculptées en forme de dragons ou de chimères. Sur l’eau qu’on aperçoit à peine, flottent les voiles de nattes de bambou qui se déroulent comme des paravents.
Soudain, les rames se lèvent et retombent, frappant l’eau en cadence. À ce signal, des nuées de cormorans, perchés sur l’avant des jonques, agitent leurs ailes, plongent de tous côtés comme un seul oiseau et reparaissent, étreignant dans leur long bec recourbé le poisson qu’ils déposent fidèlement aux mains des pêcheurs.
Pendant les entractes, on voit d’autres cormorans, lustrant leur plumage vert avec leur bec huileux, se profiler sur les kiosques du rivage, les tours de porcelaine, les toits vert et or des temples. Parfois, ces intelligents oiseaux s’entraident mutuellement et s’unissent en troupe pour transporter un poisson monstrueux, qui par la tête, qui par la queue, qui par les nageoires. On dirait alors l’ascension de quelque dieu chinois emporté dans le ciel par des oiseaux fantastiques.
Sur Daily Motion, voyez cette pêche chinoise à l’aide de cormorans.
L’illustration du Cormoran à aigrettes provient de la page Wikipédia qu’on lui consacre.
La semaine dernière à l’Île-aux-Coudres, à marée basse, en face du chalet, ils s’installaient à fleur de roche dès qu’elle apparaissait. Le nez au vent ! Je dirais, là, tout simplement à contempler ce grand fleuve qu’ils habitent ! Plus à l’est, sur le Bout-d’en-Bas, ils se tenaient en bande, serrés, comme s’ils avaient peur de quelque chose. Magnifique ! Le juvénile était bien présent. Souvent, ils avaient la grâce de partager leur roche avec le grand héron, le bihoreau ou le goéland. Tout un spectacle !
Chanceuse ! Ça devait être bien beau avec le grand fleuve !