Skip to content

L’attraction de Paris

Chaque grande ville fascine, attire tout un monde venu d’ailleurs. Personnellement, j’aimerais bien un jour goûter à Istanbul, la métropole de la Turquie. Elle fut Byzance et Constantinople et, porte de l’Asie, joua un si grand rôle dans l’histoire de l’humanité. Je voudrais sentir les lieux.

Mais je connais bien Paris, que j’ai marché en toutes sortes d’occasion. Payez-vous Paris un jour si ce n’est déjà fait. Montez dans un de ces trains du plaisir.

Dans le quotidien montréalais La Patrie, du 15 juillet 1889, à la une, à l’occasion de l’Exposition universelle qui s’y tient, celui qui signe Floc y va d’un texte sur «L’attraction de Paris».

Allez voir arriver les trains de plaisir ! L’Exposition n’est que le prétexte, l’excuse, pour dépenser les économies péniblement faites tout le bout de l’année […]. C’est Paris qu’on veut voir, et Paris tout entier, ses palais et ses bouges, ses théâtres et ses bouibouis. Ils se regorgent, les trains de plaisir !

Du bout de la France, de l’ouest et du sud, ils apportent, toutes les classes mêlées dans l’entassement des wagons, dans la suée des nuits en commun, des multitudes d’êtres, hantés de la même folie ou du même caprice, vivre quelques jours dans le cité prodigieuse.

Et, pour les uns, les quelques jours sont brefs, désenchanteurs, car ils regardent trop et ne voient rien; pour les autres, c’est la vie entière, car, leur billet de retour revendu, il se produit dans cet océan de têtes et de toits, attachés désormais au pays parisien, comme à un radeau de la méduse où ils ne mangent pas, mais qui les porte quand même — et qui vogue.

Ces tickets, coupés en deux que les revendeurs vous offrent dans les salles des gares aux abords des guichets, ils savent bien des luttes et pourraient dire bien des angoisses.

Le mot «Retour» il a je ne sais quel air d’ironie; Paris garde bien des garçons parmi ceux qu’il a appelés pour un séjour d’une semaine. Il les garde un peu à la façon de la mer, en les noyant. Au pays, les mères attendent le petit séduit par un rêve d’art ou la soif de l’or.

C’est d’autres malheureux qui reviennent, des éclopés de la longue marche qui s’offrent un mois de campagne, des vacances à bon marché. Les compagnies de chemins de fer songeaient peut-être à ceux-là en baptisant leurs grands convois économiques «trains de plaisir».

Est-ce péché à eux d’être venus, est-ce maladif d’imagination ? Paris est le cerveau et le cœur du monde. Hugo l’a dit dans ses vers prophétiques : Paris inonde l’univers de feuilles célébrant la grande vie boulevardière, du roman merveilleux vécu entre ces murs. Peu à peu, la tache effroyable qu’il fait sur les cartes de France s’élargit et il menace de manger toutes les autres villes. […]

Cela n’empêche pas le monde d’aller. Au contraire. C’est même ce qui le fait marcher. C’est de la lutte pour la vie, le mot courant aujourd’hui et dont le drame de Daudet va augmenter la vogue encore. Et les petites villes continueront d’être désertées, les blanches petites villes dont on évoque souvent la paix asile et les toits hospitaliers. Ce sont des fiancées simples et pures, de celles qu’on salue mais qu’on n’admire pas.

Elles ne sauraient convenir aux ambitieux, comme la maîtresse qui les trompe et les broie sous ses brodequins dorés, mais qui a les regards de tous et qui fait naître autour d’elle mille désirs.

Chaque train qui passe fait un long draînage dans la province, emportant les adorateurs vers l’idole muette. Les pauvres attendent un peu plus longtemps, guettent plus souvent le passage de la locomotive le long du talus, hors des barrières du bourg natal. Mais le voyage a aussi sa démocratie, et, le jour venu des grandes fêtes ou des expositions, ils prennent les trains de plaisir. Allez les voir arriver; les pisteurs, aux abords des gares, ont beaucoup de billets de retour à vendre.

 

L’illustration de place de la Concorde à Paris est du peintre et illustrateur anglais Thomas Allom. Elle est extraite de l’ouvrage Europe illustrated: its picturesque scenes and places of note, described by John Sherer, superbly embellished with steel engravings by Turner, Allom, Bartlett, Leitchm and other eminent artists. First series. France, Belgium, and the Rhine, The London Printing and Publishing Company Limited. 1876.

No comments yet

Publier un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Vous pouvez utiliser des balises HTML de base dans votre commentaire.

S'abonner aux commentaires via RSS