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«La vie champêtre»

Celui qui signe simplement Bergasse propose un texte lyrique sur l’été à la campagne, reproduit le 27 juillet 1889 par l’hebdomadaire montréalais Le Monde illustré.

Cet écrit était déjà paru à La Haye en septembre 1835 dans une publication du nom d’Omnibus, Journal mensuel de la littérature, des anecdotes, des faits politiques, des théâtres et des modes. Omnibus se présente alors comme «le premier et le seul journal français qui se publie en Hollande». L’auteur du texte se nomme Nicolas Bergasse, est né à Lyon le 24 janvier 1750 et est décédé à Paris le 28 mai 1832.

Nous avons tous un goût naturel pour la vie champêtre. Loin du fracas des villes et des jouissances factices que leur vaine et tumultueuse société peut offrir, avec quel plaisir vivement ressenti nous allons y respirer l’air de la santé, de la liberté, de la paix !

Une scène se prépare plus intéressante mille fois que toutes celles que l’art invente à grands frais pour vous amuser ou vous distraire. Du sommet de la montagne qui borne l’horizon, l’astre du jour s’élance brillant de tous ses feux. Le silence de la nuit n’est encore interrompu que par le chant plaintif et tendre du rossignol, ou le zéphyr léger qui murmure dans le feuillage, ou le bruit confus du ruisseau qui roule dans la prairie ses eaux étincelantes.

Voyez-vous ces collines se dépouiller par degrés du voile de pourpre qui les recèle, ces moissons mollement agitées se balancer au loin sous des nuances incertaines, ces châteaux, ces bois, ces chaumières bizarrement groupées, s’élever du sein des vapeurs ou se dessiner en traits ondoyants dans le vague azuré des airs ?

L’homme des champs s’éveille. Tandis que sa robuste compagne fait couler dans une urne grossière le lait de vos troupeaux, le voyez-vous ouvrir gaiement un sillon, ou, la serpe à la main, émonder en chantant l’arbuste qui ne produit que pour vous ces fruits savoureux ? Cependant, le soleil s’avance dans sa carrière enflammée; l’ombre, comme une vague immense, roule et se précipite vers la gorge solitaire d’où s’échappent les eaux du torrent; le vent fraîchit, l’air s’épure; une abondante rosée tombe en perles d’argent sur le velours des fleurs, ou se résout en étincelles de feu sur la naissante verdure.

O combien votre âme est émue ! quelle fraîcheur délicieuse pénètre alors vos sens ! comme elles sont consolantes et pures les pensées du matin ! comme elles égaient le rêve mélancolique de la vie ! en s’abandonnant à leurs douces erreurs, combien aisément on oublie et les tristes projets de la grandeur, et les vaines jouissances de la gloire, et le mépris du monde et sa froide injustice !

Dans cette solitude champêtre qu’ont habitée vos pères, dans cet asile des mœurs, de la confiance et de la paix, que vous importent les vains discours des hommes, et leurs lâches intrigues, et leur haine impuissante, et leurs promesses trompeuses ? Quelle impression peut encore faire sur votre âme le récit importun de leurs erreurs ou de leurs crimes ? Au déclin d’un jour orageux, ainsi gronde la foudre dans le nuage flottant sur les bords enflammés de l’horizon, ainsi retentit le torrent qui ravage au loin une terre agreste et sauvage.

 

Ce texte, peut-être écrit à la fin du 18e siècle, au moment de la Révolution française, est étonnant. Voici pourquoi. Au 19e siècle, en France, des éditeurs publient des livres de 300 ou 400 pages à des intervalles de quelques années, qu’ils intitulent «Morceaux choisis». On y retrouve alors du Nicolas Boileau, Jules Michelet, François-René de Châteaubriand, Jean-Jacques Rousseau, et d’autres encore, tous des écrivains passés à l’histoire. Et ce texte de Bergasse apparaît à chaque fois dans ces Morceaux choisis. Manifestement, il était aimé des éditeurs. Mais qui se souvient aujourd’hui de Nicolas Bergasse ?

L’illustration est tirée de l’ouvrage de Louis Cousin-Despréaux, Les leçons de la nature présentées à l’esprit et au cœur, Tours, Alfred Mame et Fils, 1885.

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