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À nouveau d’étranges phénomènes

Il est rare que Françoise (Robertine Barry), la chroniqueuse du lundi, la première femme journaliste québécoise, se lance dans des étrangetés. Dans La Patrie du 12 juin 1893, elle s’y attaque.

C’est pour les sceptiques qui ne croient pas aux revenants que j’écris cette chronique. […]

Donc il n’y a pas bien longtemps, on amenait à l’Hôtel-Dieu [de Montréal] un brave fils de la Verte Erin dont l’état semblait des plus précaires.

Il y a, paraît-il, dans la vaste enceinte des dames Hospitalières, une chambre exclusivement réservée aux Irlandais que l’on appelle pour cette raison salle St-Patrice. La bonne sœur chargée particulièrement du soin de cette salle est, elle aussi, une fille de la blonde Hibernie, qui vint au Canada, encore toute enfant, avec des immigrants de son pays dont le nombre fut si horriblement décimé par le typhus quelques vingt ans passés.

L’enfant fut, après la mort de ses parents, recueillie et adoptée par d’honnêtes cultivateurs canadiens-français de Beauport où elle fut élevée jusqu’au jour où elle quitta sa famille d’adoption pour le cloître.

Va sans dire que la bonne religieuse n’avait d’anglais que le nom et que, nommée directrice de la salle St-Patrice, il lui fallut recommencer avec ses compatriotes l’étude de la langue anglo-saxonne qu’il lui arrive souvent de fusionner avec le français.

Toujours est-il que la sœur commanda aux infirmiers qui amenaient le patient sur un brancard de le déposer sur un lit vacant. Mais à peine le malade reposait-il sur le matelas qu’il s’en échappa des miaou lugubres, épouvantables qui détonnèrent horriblement dans le silence de la salle.

— Mercy ! dit la sœur, il y avait des cats sous les couvertures. Tom, venez donc voir. […]

On souleva l’agonisant avec force précaution, on fit un examen dessus, dessous et dans le lit, puis tout autour de la chambre. Tom armé d’un balai se disposait même à punir les délinquants, mais on ne trouva rien. Pas plus de chat que sur la main.

Depuis ce jour, on entendit des bruits étranges dans la salle St-Patrice; une nuit surtout, personne ne put dormir. Il sortait par tous les coins des gémissements, des plaintes qui remplissaient l’air et troublaient tout le monde. Une autre fois, on eut dit une meute de chiens furieux, aboyant, hurlant, aux alentours, qui tenaient tout le monde en éveil.

Entretemps, un des malades rendit le dernier soupir et, comme les gardiens le transportaient sur une civière à travers le long corridor, le mort leur reprocha en termes lamentables de vouloir l’enterrer vivant.

Inutilement, hélas ! il était bien mort comme l’attestaient d’ailleurs le ton glacial de ses membres et sa rigidité cadavérique.

La vive imagination de mes compatriotes celtiques avait de quoi s’exercer, et, comme bien on le pense, les commentaires allaient leur train. On parlait de spiritisme, d’intervention surnaturelle et que sais-je encore ? […]

— I never saw chose pareille, disait la bonne sœur les yeux au ciel.

Un dernier trait vint mettre le comble à l’émoi qui régnait dans la salle St-Patrice. Il y a au milieu de la pièce une armoire où passent des tuyaux à l’eau chaude destinés à réchauffer les assiettes et les plats de l’infirmerie. À l’heure du dîner, il se produisit un tintamarre épouvantable, un choc d’assiettes se heurtant les unes contre les autres, les bruits de vaisselle qui se casse et dont les morceaux seraient violemment rejetés sur les parois de l’armoire. […]

Le chevalier Tom ouvrit l’armoire. Rien encore. Les plats et la vaisselle ne semblaient pas même avoir été dérangés. Des murmures s’élevaient dans la salle; décidément, la place n’était plus tenable.

Mais un vieux soldat retraité qui, jusque là avait gardé le silence, se levant tout à coup, dit d’une voix qui dominait tout le tumulte et en désignant du doigt le malade avec qui avait commencé tout ce bruit :

— Cet homme est ventriloque.

Depuis lors, on n’entendit rien d’insolite à la salle St-Patrice, jusqu’à ce que, guéri et sur le point de quitter l’hôpital, le ventriloque donna une magnifique représentation de son savoir-faire, à laquelle assistèrent, émerveillés, infirmiers, malades et scolastiques.

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