Immense incendie à l’asile de Longue-Pointe, à Montréal
Peut-être vous souvenez-vous, nous avions fait une visite, bouleversante, de l’hôpital psychiatrique de Longue-Pointe, l’été dernier. Le journaliste Léon Ledieu nous offrait aussi un témoignage sur la folie dans deux articles, un premier le 23 août dernier, et l’autre le lendemain.
Le 6 mai 1890, cet asile est rasé. Il s’agirait du pire incendie dans l’histoire de Montréal quant aux pertes humaines, quelque 100 personnes. On mettra du temps à évaluer le nombre de morts.
Le 8 mai, La Patrie écrit : «Thérèse, la nièce supérieure de l’asile St-Jean-de-Dieu, dit que pour le présent il est impossible de dire le nombre des victimes qui ont péri dans l’incendie de l’asile. Il est certain, cependant, que cinq religieuses ont perdu la vie. Ce sont les sœurs Marie Gravel, Louise Gravel, Demérise Gilbert, Lumina Bouthillier et Victoria McNichols. […] On suppose que cent personnes ont péri. Mais, depuis ce temps, 35 ont été retrouvées. Quelques-uns des aliénés ont été trouvés errants par la campagne. Un pauvre fou a été arrêté près du réservoir sur la rue McTavish. Clémence Leblanc, âgée de 42 ans, qui s’est enfuie de l’asile, a été trouvée à Beauharnois hier et ramenée à Montréal. Elle dit qu’elle est âgée de 144 ans, qu’elle était chargée de prendre soin des aliénées et qu’elle a sauvé plusieurs millions de victimes lors de l’incendie.»
Dans La Tribune du 16 mai 1890, on y lit :
Les patients de l’asile St Jean de Dieu ont été envoyés aux endroits suivants : Dépendances de l’asile, 300; buanderie, 115; chez les Frères (St Benoît), 42; couvent de St-Isidore, 150; à l’école, 60; chez les Jésuites, 52; Mille-Fleurs, 17.
Les sœurs font tous leurs efforts pour rassembler leurs patients qui ont été envoyés chez les habitants du voisinage.
Jusqu’à présent on a constaté la présence de 1182 sur un total enregistré de 1297, ce qui laisse une différence de 115.
Il est encore impossible de fixer exactement le nombre des morts. […]
À l’endroit où le plus grand nombre des femmes ont péri se trouvait un amas de linge, de lits, etc., couvert de briques brûlant encore. L’odeur qui se dégage de ces débris est si répugnante et le danger que l’on court auprès des murs chancelants est si grand qu’il sera sans doute impossible de faire des fouilles complètes avant quelques jours. Et alors les cadavres seront réduits en cendres.
Dans l’aile du côté ouest et en d’autres endroits, les ruines brûlent toujours et dégagent une fumée épaisse. Le coffre-fort contenant tous les documents officiels, ainsi que la liste des noms des aliénés, se trouve dans les décombres. Il sera impossible de connaître le nombre de morts avant que ce coffre-fort soit retrouvé.
Une sœur du couvent St-Isidore prétend connaître les noms d’un grand nombre de patients disparus, mais elle refuse de les citer, de crainte d’affliger inutilement les parents, car tous les jours la police ou les particuliers ramènent des échappés. […]
Quatre aliénés, une demi-heure environ après le commencement de l’incendie, ont pris un cocher de place stationné aux environs de l’asile et se sont fait conduire à Montréal. Notre cocher ne savait pas du tout à qui il avait à faire et il promena ces messieurs pendant 3 heures dans la ville.
Fatigué enfin de cette course sans but, il leur demanda où ils voulaient aller. La réponse est facile à deviner. Les aliénés ne savaient pas où aller et n’avaient naturellement pas d’argent pour payer. De là grande colère du cocher qui conduisait ces clients récalcitrants au poste de police. Qu’on se figure sa stupéfaction lorsqu’il apprit qu’il avait promené toute [sic] l’après-midi quatre fous de l’asile.
Un grand nombre d’hôteliers ont été aussi victimes de cette évasion d’aliénés. Ces messieurs ont fait des consommations aux dépens du roi de Prusse; il fallait bien se contenter de leurs remerciements quelque peu équivoques.
Le 6 juin 1890, La Tribune de Saint-Hyacinthe écrit : «Le nombre exact des personnes qui ont perdu la vie dans l’incendie de l’asile de la Longue Pointe, tel que prouvé par la Révérende sœur Thérèse, est de 56 : 5 sœurs converses et 51 patientes.»
L’illustration publiée dans Le Monde illustré du 17 mai 1890 est accessible sur le site de Bibliothèque et Archives nationales du Québec, au descripteur «Incendies».
Contribution à une histoire de la folie au Québec.