Une bataille de coqs pendant la grand’messe du dimanche matin !
À Montréal, certains, guère intéressés par le culte, ont d’étonnantes façons de célébrer le Jour du Seigneur. La Patrie du 28 mars 1892 raconte.
Hier, pendant que se célébrait l’office divin dans toutes les églises de la ville, un certain nombre de personnes étaient réunies dans la rue Logan en arrière du No 377, pour assister à des batailles de coqs.
La police de la caserne No 3 eut cependant vent de l’affaire et en quelques minutes on organisa un raiding party.
Le sergent Choquette escorté par les constables Lemieux, Lebeuf, T. Richard, J. B. Viau et J. Richard, prit une direction et le sergent Bouchard, avec trois constables de la caserne No 4, en prit une autre.
Les deux détachements cernèrent prudemment le champ de combat et, au moment où les deux premiers coqs étaient en train de s’administrer des raclées d’éperons, sergents et constables ont enfoncé la porte cochère et sont tombés comme une bombe au milieu des «cocassiers» stupéfiés.
Ça été un sauve-qui-peut général; chacun mettait ses jambes à son cou pour tâcher d’échapper aux mains de la police; les uns ont brisé les châssis, d’autres ont grimpé sur les toits pour prendre la fuite.
Pendant ce pêle-mêle et cette retraite précipitée, les deux coqs se battaient toujours, mais leurs coups étaient presqu’impuissants, car ils étaient littéralement épuisés et avaient reçu plus ou moins de blessures. L’un d’eux avait un œil crevé et le cou troué par les coups d’éperons lorsqu’on les a séparés.
La police a réussi après beaucoup d’efforts à mettre la main sur sept «cocassiers» et sept coqs tout éperonnés qui n’attendaient qu’un coup de clairon pour se battre.
Les sept personnes arrêtées ont donné les noms suivants : Narcisse Bolduc, Joseph Charron, Thomas Lagacé, J. B. Lebeuf, Hubert Lagacé, Pat Murray et Paul Desrosiers.
Les coqs moins chanceux que ces sept prévenus ont dû passer la nuit dans les cellules.
Ce matin, dès dix heures, les abords du palais de justice étaient encombrés par une foule considérable qui se promettait des émotions, car il paraît qu’un procès de «cocassier» est toujours intéressant.
Déjà un grand nombre de curieux s’étaient installés sur les banquettes de la cour du recorder [le juge de la Cour municipale], lorsque l’huissier-audiencier a ordonné à tous ceux qui n’avaient pas d’affaires d’évacuer la salle.
La foule qui se promenait dans le couloir s’amusait en écoutant les chants des coqs qui ont donné un véritable concert à toute la colonie de l’hôtel de ville. Les premières harmonies ont été bégayées vers les deux heures ce matin, et, depuis ce moment jusqu’à la fin du procès, ces vaillants guerriers de basse-cour ont essayé leur gosier sans relâcher et sans faiblir, au grand désagrément de nos constables qui n’ont même pas pu roupiller.
Les privilégiés qui ont eu accès à la cour du recorder ont été désillusionnés, car il n’y a pas eu de procès.
Les sept accusés ont plaidé coupable avant l’ouverture de la cour et le recorder n’a eu qu’à prononcer leur sentence. Bolduc a été condamné à $50 et deux mois de prison et les six autres à $10 ou quinze jours de cellules.
À chaque fois que m’apparaît un texte semblable dans la presse de ce temps, je regrette toujours que le cinéma n’ait pas été inventé cinquante ans plus tôt. Un bon cinéaste à la manière de Pierre Perrault ou de Gilles Carle aurait fait son miel d’un pareil événement. Tout est là, depuis la foule du dimanche matin réunie à l’église jusqu’au palais de justice du lendemain. Ne reste plus qu’à actionner la machine.
Source de l’illustration : Bibliothèque et Archives nationales du Québec à Québec, Fonds Famille Graddon, Documents iconographiques, cote P95, S44, D4. « Dessin couleur représentant un combat de coqs ». La fiche accompagnant ce dessin mentionne que l’œuvre remonterait au 19e siècle, mais sans plus de précision.