Skip to content

«Une maison de cultivateur»

L’abbé Henri-Raymond Casgrain, homme d’église et historien, se lance. Il décroche le violon qui est au clou. Éloge mythique de la maison québécoise, où il regroupe tout ce qu’il peut. Le bonheur parfait, quoi.

Voyez-vous là-bas, sur le versant de ce coteau, cette jolie maison qui se dessine blanche et proprette, avec sa grange à couverture de chaume, sur la verdure tendre et chatoyante de cette belle érablière.

C’est une maison canadienne.

Du haut de son piédestal de gazon, elle sourit au grand fleuve, dont la vague, où frémit sa tremblante image, vient expirer à ses pieds.

Car l’heureux propriétaire aime son beau grand fleuve, et il a soin de s’établir sur ses bords.

Si quelquefois la triste nécessité l’oblige à s’éloigner, il s’en ennuie et il a toujours hâte d’y revenir. Car c’est pour lui un besoin d’écouter sa grande voix, de contempler ses lieux boisés et ses rives lointaines, de caresser de son regard ses eaux tantôt calmes et unies, tantôt terribles et écumantes.

L’étranger, qui ne connaissant pas «l’habitant» de nos campagnes, croirait pouvoir l’assimiler au paysan de la vieille France, se méprendrait étrangement.

Plus éclairé et surtout plus religieux, il est loin de partager son état précaire.

En comparaison de celui-ci, c’est un véritable petit «prince» parfaitement indépendant sur ses soixante ou quatre-vingts arpents de terre entourés d’une clôture de cèdre, lui fournissant tout ce qui lui est nécessaire pour vivre dans une honnête aisance.

Voulez-vous maintenant jeter un coup d’œil sous ce toit dont l’aspect extérieur est si riant ?

Je vais essayer de vous en peindre le tableau, tel que je l’ai vu maintes fois.

D’abord, en entrant dans le «tambour», deux seaux d’eau fraîche sur un banc de bois, et une tasse de fer-blanc, accrochée à la cloison, vous invitent à vous désaltérer.

À l’intérieur, pendant  que la soupe cuit sur le poêle, la mère de famille assise, près de la fenêtre, dans une chaise berceuse, file tranquillement son rouet.

Un mantelet d’indienne (calicot), un jupon d’étoffe du pays et une «câline» propre sur sa tête, c’est toute sa toilette.

Le petit dernier dort à ses côtés dans son «ber».

De temps en temps, elle jette un regard réjouit sur sa figure fraîche, qui, comme une rose épanouie, sort du couvrepied d’indienne de diverses couleurs, dont les morceaux, taillés en petits triangles, sont ingénieusement distribués.

Dans un coin de l’appartement, l’aînée des filles, assise sur un coffre, travaille au métier (à tisser) en fredonnant une chanson

Forte et agile, la navette vole entre ses mains, aussi fait-elle bravement dans sa journée sept ou huit aulnes de toile du pays à grand’largeur qu’elle emploiera plus tard à faire des vêtements pour l’année qui vient.

Dans l’autre coin, à la tête du grand lit à courte pointe blanche et à carreaux bleus, est suspendue une croix entourée de quelques images.

Cette petite branche de sapin flétrie qui couronne la croix, c’est le rameau bénit.

Deux ou trois marmots nu-pieds sur le plancher s’amusent à atteler un petit chien.

Le père, accroupi près du poêle, allume gravement sa pipe avec un tison ardent qu’il assujettit avec son ongle. Bonnet de laine rouge sur la tête, gilet et culotte d’étoffe grise, bottes sauvages, tel est son accoutrement.

Après le repas, il faut bien fumer une «touche» avant d’aller faire le train ou battre à la grange.

L’air de propreté et de confort qui règne dans toute la maison, le gazouillement des enfants, les chants de la jeune fille qui se mêlent au bruit du rouet, l’apparence de santé et de bonheur qui reluit sur tous les visages, tout, en un mot, fait naître le calme et la sérénité.

Si jamais sur la route, vous étiez surpris par le froid ou la neige, allez heurter sans crainte à la porte de la famille canadienne, et vous serez reçu avec ce visage ouvert, cette franche cordialité que ses ancêtres lui ont transmise comme un souvenir et une relique de la vieille patrie. […]

L’abbé Casgrain.

 

Source : Le Sorelois, 14 décembre 1886.

L’illustration est de Berthe Chicoine. Elle apparaît dans l’ouvrage d’Adéla Lessard Boivin, Tableaux d’autrefois, publié à Québec en 1944. Merci à mon bouquiniste Michel Roy pour le prêt de cet ouvrage.

2 commentaires Publier un commentaire
  1. Jean-Claude Veilleux #

    Merci pour ce magnifique texte de l’abbé Casgrain décrivant la maison typique de nos ancêtres. Moi, qui fait des recherches généalogique presque à plein temps depuis ma retraite, et qui essaie de s’imaginer comment ceux-ci vivaient, me voilà bien servi, du moins concernant leur habitation. Je sens la bonne odeur de soupe d’ici ! Probablement une soupe au pois et au jambon avec quelques lardons, comme on l’aime ici dans la Beauce.

    8 décembre 2013
  2. Jean Provencher #

    En effet, on sent l’abbé Casgrain fort heureux d’attaquer ce sujet. Salutations à vous, cher Beauceron. Belle et bonne soupe !

    8 décembre 2013

Publier un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Vous pouvez utiliser des balises HTML de base dans votre commentaire.

S'abonner aux commentaires via RSS