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Madame Justine

En 1900, des personnes hors de l’ordinaire choisissent de s’exhiber. Elles approchent le propriétaire d’un magasin pour pouvoir s’afficher dans une de ses vitrines moyennant rétribution. Avec permission, de la municipalité, elles peuvent aussi s’installer quelque part dans une tente. Voici le cas de Madame Justine. Mais ne la provoquez surtout pas. Le 2 novembre 1888, le journal Le Canadien raconte.

Une grosse femme de 478 livres, qui s’exhibe actuellement sur la rue St-Laurent à Montréal est sortie de sa tente pour livrer bataille à la police. Elle a été provoquée par un cocher qui pèse cinq fois moins qu’elle. Voici les faits :

Lundi midi, Madame Justine Masson engagea une voiture pour la conduire de la rue St-Laurent à la rue Désery, Hochelaga, où elle demeure.

Il fut convenu que 75 cents seraient le prix du voyage. Il paraît que Lapierre ne fut pas galant pour son imposante cliente. Au moment de débarquer, il lui tendit la main, mais il glissa et tous deux roulèrent sur le trottoir; par bonheur, le petit cocher n’eut pas le dessous, on aurait eu à déplorer un écrasement fatal.

À la vue de cet éboulement gigantesque, des gamins accoururent pour contempler une spectacle qui leur aurait coûté dix sous. Les deux victimes échangèrent quelques compliments aigres-doux et le cocher dut battre en retraite devant les forces redoutables que déployait sa cliente.

Hier matin, la prodigieuse grosse femme, drapée dans un manteau immense, comparaissait devant le Recorder pour refus de payer son cocher. Clovis Lapierre raconta son aventure et avoua avoir ingurgité quelques verres de ce bon whiskey. Le récit causa chez Mme Masson une réjouissance, qui se trahissait par des secousses d’épaules alarmantes pour la solidité de sa chaise. Ce début pacifique se changea bientôt en une grêle d’injures entre le témoin et l’accusée, qui gesticulait à faire trembler le tribunal.

De son côté, le petit Clovis , rouge comme une pivoine, jappait les épithètes les plus recherchées de son répertoire.

Le Recorder imposa la paix aux parties et accorda cinquante cents au plaignant.

En entendant la sentence : «50 cents ou huit jours de prison», Mme Masson, furieuse, se leva, se moquant du tribunal et de la sentence.

Une minute plus tard, l’héroïne de la rue St-Laurent se balançait dans le corridor de l’hôtel de ville, escortée du sergent Nelson, du constable Demers et d’une foule de curieux. Elle se dirigea vers la porte, mais les officiers lui firent comprendre, avec tous les égards dûs à son sexe et à son poids, qu’il fallait satisfaire à la justice.

Nelson épuisa sa galanterie et on dut arrêter Madame à force de bras. Démarche téméraire ! Demers reçut une gifle, Nelson fut bousculé, un troisième, un quatrième constable et autres habitants de Lilliput reculèrent devant la lourde main de la grosse Justine.

Elle s’élança de nouveau sur Demers, qui fut caressé sur les deux joues, mais des caresses dont il alla se plaindre devant la cour. La grosse femme était comme une lionne. Il fallut pour l’adoucir tout l’empire et les paroles mielleuses du galant détective Trempe pour la faire conduire de nouveau devant le tribunal. Elle se plaignit d’avoir été pincée par Demers; sa défense était futile et un autre cinq piastres fut ajouté aux cinquante cents.

La prisonnière était exaspérée et voulut battre le gros tourne-clef Gratton, dont pourtant l’embonpoint était assez imposant, lorsqu’il voulut la conduire dans la plus grande des cellules.

Pendant une heure, elle défia le tribunal, le juge et toute la police. Enfin les amendes la ramenèrent à la raison et elle paya $8.75 pour son exploit. Elle partit jurant de mettre la main sur Demers et sur le «gros ventre» à Gratton.

 

La photographie de l’hôtel de ville de Montréal vu du Champ-de-Mars, où se trouvait la cour du Recorder, qu’on appelle aujourd’hui cour municipale, parut dans Le Monde illustré du 28 novembre 1891. On la retrouve sur le site de Bibliothèque et Archives nationales du Québec, au descripteur «Hôtels de ville».

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