Quel temps impossible !
Cap-Chat se trouve à 482 km à l’est de Québec, entre Matane et Sainte-Anne-des-Monts. À cet endroit, en bordure du fleuve Saint-Laurent, se termine l’estuaire et s’ouvre le golfe. Prêtant flanc aux vents du nord-est s’engouffrant à l’occasion à l’intérieur du continent, l’endroit peut essuyer du temps absolument maussade.
Un citoyen de l’endroit, T. Côté, tenait à témoigner d’un dur moment à traverser à la fin d’octobre et au début de novembre 1888. Aussi il écrit au quotidien de Québec, Le Canadien, le 5 novembre 1888. Le journal publie sa lettre huit jours plus tard.
M. le Rédacteur,
Je crois vous intéresser, vous et vos honnêtes lecteurs, en vous faisant connaître les circonstances dans lesquelles se trouvent aujourd’hui Sainte-Anne-des-Monts, Cap-Chatte et leurs environs. J’aurais désiré qu’une plume plus habile s’acquittât de cette tâche que je considère être un devoir; mais voyant que j’attends en vain, je vais donc me mettre à l’œuvre sans m’occuper des règles de grammaire, de syntaxe et de littérature. Cela me prendrait trop d’efforts et de temps.
Vous savez sans doute que la saison des récoltes a été mauvaise cette année généralement parlant. Ici, dans notre localité, elle l’a été exceptionnellement. Du commencement à la fin d’octobre, nous n’avons eu que pluie, brume, grêle et neige, à l’exception de quatre ou cinq jours de temps passable durant lesquels les cultivateurs ont pu sauver la plus grande quantité de leurs patates.
Ces quelques jours de beau temps étaient ou des jours sombres ou jours de calme et la récolte ne séchait pas. L’inquiétude était déjà grande chez les cultivateurs qui voyaient s’écouler le mois d’octobre et qui voyaient aussi leurs récoltes sur le champ, toutes trempées et déjà grandement endommagées par la moisissure.
Mais le découragement est venu à son comble lorsque, le 29, nous est arrivé une tempête en règle qui a débuté la veille par une pluie torrentielle, se changeant en neige le lendemain pour durer jusqu‘au milieu de la nuit du 29 et poussée par un commencement d’ouragan.
Ainsi, le 30 octobre dernier, nous étions en plein hiver. Les animaux étaient établés. Les chevaux s’embourbaient dans les chemins.
La ligne télégraphique était renversée partout où elle offrait de la résistance au vent. En la réparant le lendemain, nous la trouvons sous les bancs de neige et grosse comme le bras de verglas et de glace.
Et la récolte me direz-vous ? Ah ! la récolte, elle était toute ou presque sous la neige.
Il y a des cultivateurs qui n’ont pas encore une gerbe de grain dans leurs granges et ceux qui en ont en sont quittes pour les sortir ou pour les empêcher de pourrir.
Voilà où nous en étions le 30 du mois dernier. Voyons maintenant et en peu de mots si nous sommes mieux aujourd’hui.
Quelques jours de temps doux et de pluie ont vite eu raison de cette neige qui est presque complètement disparue.
L’espoir renaissait, mais la pluie, elle, ne cessait pas, et il a plu presque sans interruption jusqu’à hier soir. Ce matin, juste au moment où j’écris ces lignes, nous sommes gratifiées d’une seconde bordée et il neige encore. Combien il va en tomber, Dieu le sait.
Tout ce que je sais, c’est que, aujourd’hui, 5 novembre, la récolte est pour la deuxième fois ensevelie sous la neige et cette fois-ci toute noircie et à demi pourrie.
Il ne m’appartient pas d’essayer de vous dépeindre le découragement.
Les animaux sont presque partout nourris au foin dont la récolte a été beaucoup au-dessous de la moyenne.
Il est difficile de prédire au juste quelles seront les suites de cet état de choses. Mais il est un fait certain : c’est que nous ne pourrons pas hiverner la moitié du bétail avec ce qu’il y a de récolté maintenant.
Il en est de même, je crois, dans toute la Gaspésie, sinon toute la partie est de la province.
Nos gouvernants ont là sous les yeux, M. le rédacteur, un vaste sujet d’études. Ils ne manqueront pas, il faut l’espérer, de porter leur attention sur la gravité de la situation, de constater l’immensité des dommages. Et, comme le père de famille quand sa récolte a subi quelques dommages, restreint ses dépenses, retarde ses améliorations utiles, de même le gouvernement, par sa sage prévoyance, saura prévenir les malheurs qui planent sur la tête d’un grand nombre de ses sujets.
À ce sujet, je n’émets là qu’une idée, ne voulant faire la leçon à qui que ce soit. D’ailleurs, l’espérance fait vivre, comme on le dit familièrement, et si nous ne vivons pas du produit de nos récoltes, nous vivrons d’espérance et… arrive que pourra.
T. Coté
Cap-Chatte, 5 novembre 1888
La photographie du rocher de Cap-Chat ressemblant, dit-on, à un chat apparaît sur le site de la municipalité de Cap-Chat, que l’on pouvait aussi appeler Cap-Chatte, comme le fait ici ce correspondant. On trouvera d’ailleurs l’origine du nom sur ce site.