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«Séparons-nous»

Il est rare que je verse franchement dans le politique sur ce site internet. J’ai déjà beaucoup donné à ce sujet. Mais quelle surprise en dépouillant La Tribune, l’hebdomadaire de Saint-Hyacinthe, de voir apparaître ce texte en éditorial le 20 octobre 1893, en page 2. Et jamais au grand jamais, on avait évoqué dans mes cours en histoire, non plus que dans les manuels scolaires, qu’un pareil discours s’est tenu au Québec durant les années 1890.

Je ne connais pas le «directeur-propriétaire» du journal, Alphonse Denis, mais il en a vraiment ras-le-bol. Et mon travail d’historien m’oblige à un devoir de mémoire, à ne pas garder sous silence cet écrit incroyable.

 

Séparons-nous.

L’histoire de la confédération canadienne n’a été qu’un long cri de haine, qu’une série d’injures et d’avanies, qu’une persécution odieuse et savamment combinée contre l’élément français.

Depuis que le pacte fédéral a été signé, nous avons vu tous les jours notre influence diminuer au profit de l’orangisme fanatique et intransigeant.

À tel point que la revendication légitime de tous les catholiques français de la dominion [sic] contre des injustices et des attentats à la liberté du genre de l’abolition des écoles séparées du Nouveau-Brunswick et au Manitoba, de l’abolition de la langue française au Nord-Ouest, etc., ont été accueillies avec mépris et ont à peine reçu l’honneur de la considération ministérielle.

Nous avons pratiqué la bonasserie, la vertu de patience.

Et le saxon qui nous connaît, le saxon qui voit tous les jours nos luttes intestines, la vénalité et la partisannerie de nos représentants; le saxon, dis-je, en profite pour opérer notre anéantissement national.

Mais le saxon est insatiable, il va trop loin.

La presse accréditée d’Ontario chante depuis vingt ans que Québec est un boulet qui la retient dans la voie du progrès.

Elle jette la bave et la boue contre nos croyances religieuses, nos institutions françaises et tout ce qui nous est sacré.

Elle en est rendue maintenant à réclamer à grands cris l’abolition de la langue française dans le Canada.

À mon avis, en voilà assez et la mesure doit être pleine.

M. [Joseph-Israël] Tarte disait naguère, au cours d’un article dans l’Électeur, que cet état de choses ne saurait durer longtemps, et que nous ne «serons pas les valets des sujets anglais de la reine Victoria dans la confédération».

Voilà ce que pense la jeunesse de toute la province, et voilà ce qu’elle est décidée d’éviter s’il en est temps encore.

Pour cela, il n’y a qu’un moyen et nous allons le prendre.

L’élément anglais nous déteste et nous méprise. Il ne peut entendre parler notre langue ni voir nos clochers sans écumer de rage; il prétend que nous sommes pour lui un obstacle qu’il faut abattre.

Entendons-nous avec MM. les Anglais.

Nous aussi, nous sommes las de les nourrir des plus belles parts de patronage, de leur donner les plus belles positions.

Nous sommes fatigués de voir la grosse part de nos deniers aller aux entreprises publiques des provinces anglaises.

Nous sommes fatigués surtout d’être traités en parias.

Nous avons cru un instant pouvoir vivre en paix avec les Anglais.

Nous avons fait pour cela toutes les concessions possibles.

Il est évident que nous nous sommes trompés.

Il n’y a qu’une chose à faire : Séparons-nous.

Le parti libéral a toujours eu comme article de son programme la rupture du lien confédératif.

Qu’il le reprenne, et le conduise à bonne fin !

 

Derrière la photographie de ces garçons aux drapeaux, il n’y a d’écrit qu’«Émile Bégin».

2 commentaires Publier un commentaire
  1. Comme disait l’autre: « c’est ben d’adon ».

    21 octobre 2013
  2. Jean Provencher #

    Passablement d’adon, en effet. Et la confédération canadienne n’a que 25 ans. Connaissant la suite, manifestement il y a encore à venir.

    21 octobre 2013

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