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La mise en train

Vous arrive-t-il de sentir en vous un poème qui demande à naître ? Comment donc se mettre en état pour qu’il vienne ? Le plus beau texte que je connaisse à ce sujet est celui de mon ami, écrivain et poète, grand amant des oiseaux également, Pierre Morency. Il ouvre son recueil effets personnels de Pierre Morency, publié en1986 à la maison d’édition le tourne-pierre, petite maison propriété de Pierre.

 

Il faut d’abord avoir envie de mettre au monde. Avoir le désir d’ouvrir son corps et d’ajouter un être à la vie. Attention : le temps tout de suite va se précipiter, il vient toujours quand quelque chose va naître. Laissez-le courir un moment dans la chambre, tourner autour de votre solitude. Il peut même donner un visage plus tolérable à votre angoisse. Approchez votre chaise, réduisez la distance entre le papier et votre plexus solaire. La plume est outil d’écriture, mais je vous conseille plutôt de dessiner un poème. C’est pour voir que les gens lisent. Commencez par brosser le fond du poème : ce peut être la nuit au sortir d’un rêve, la pulsation verte des océans, un appel étouffé dans la cave d’un hôpital. Les poèmes les plus lumineux s’accommodent très bien des lointains obscurs. Vous tracez la douleur secrète du monde en utilisant ce qui se dérobe derrière les regards, les paroles qui débordent sous les portes des chambres. La manière dont un homme s’adresse à un enfant dans un restaurant, quand la musique recouvre les voix, est chargée d’enseignements inestimables sur l’espoir. De même que le nombre de coups de feu qui éclatent dans la ville, un soir d’été. Le poème prend forme quand la nature commence à vous parler. Retrouvez le petit pont, le ruisseau où votre pensée un jour gicla. Laissez le tumulte des corneilles reprendre le fil du printemps, revenez à la vie avec le chant du premier merle. La débâcle vous pousse, le vieil hiver qui vous fermait va céder. Ouvrez la fenêtre qui donne sur la rue passante. Votre amour s’en vient dans la lumière. Sur le trottoir d’en face, elle s’arrête, lève le regard vers vous, les doigts en visière sur son front. Le trait ici doit être limpide : il s’agit de rendre l’infini d’une vie qui dans un instant se fond dans l’immensité d’une autre vie. C’est rendre qu’il faut.

Ce poème a été repris dans la rétrospective des poèmes de mon ami Pierre chez Boréal en 2008, sous le titre Poèmes 1966-1986.

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