Le mendiant Dupil
Dupil, le fameux Dupil, le jouet et en même temps la terreur des enfants à Lévis, est mort avant-hier la nuit, à l’âge de plus de 80 ans.
Ce mendiant, depuis nombre d’années, s’était acquis une certaine célébrité, surtout à Lévis, par ses excentricités et sa manière singulière de vivre.
On ne lui connaissait aucun parent. Un jour, il y a de cela longues années, il est arrivé à Lévis, sa poche et ses ferblanteries sur le dos, à la grande surprise des gens et surtout à la grande joie des gamins qui se faisaient fête de le taquiner.
Dupil était maniaque, et avait en horreur tous les prêtres. Lorsqu’il demandait la charité, c’était toujours pour l’amour de la charité et jamais pour l’amour du bon Dieu. On lui aurait offert une forte somme d’argent pour l’amour du bon Dieu qu’il l’aurait refusée. Les gens, qui connaissaient cette manie, l’exploitaient souvent au grand amusement des spectateurs. On lui donnait de l’argent ou des objets de valeur, puis, quand Dupil s’éloignait, on n’avait qu’à crier «pour l’amour du bon Dieu», et l’aumône, de quelque valeur qu’elle fût, était lancée au loin avec colère.
On l’a recueilli sur la rue il y a quelques jours, grelottant de froid et couvert de haillons et de vermine, et on lui a donné une généreuse hospitalité.
Dès le commencement de la maladie, il avait confié à M. le curé Gauvreau la somme de $35 qu’il avait sur lui. Cette petite somme sera consacrée à rémunérer quelque peu les bons services, les soins attentifs que lui a prodigués la personne charitable qui l’a recueilli pendant les derniers jours de sa vie; 2e à faire dire des messes pour le repos de son âme; 3e à lui faire des funérailles convenables.
Son service et sa sépulture auront lieu aujourd’hui à l’église Notre-Dame, à 9 heures.
Le Canadien, 20 octobre 1888
La photographie ci-haut, prise vers 1912, est celle de «Ti-Ken la cenne», quêteux de Buckingham. Elle provient de Bibliothèque et Archives nationales du Québec à Gatineau, Fonds Rodolphe Léger, cote P28, D273.