«Parlons français»
L’Étoile du Nord, l’hebdomadaire de Joliette, en a ras-le-bol qu’à l’arrivée du train, on accueille les voyageurs en anglais. Le 16 septembre 1886, il s’écrie en page 2 : «Parlons français».
C’est très commode dans notre pays de savoir parler l’anglais !
Le Canadien qui peut s’exprimer correctement dans la langue de Shakespeare a certainement un degré de supériorité sur celui qui ne connaît que son idiome maternel.
Mais ce n’est pas une raison pour abdiquer à tout instant les droits de la langue française et pour affecter de parler l’anglais lorsque l’on peut s’en dispenser.
Ainsi nous ne voyons pas pourquoi nos garçons d’hôtel tiennent tant à faire leur réclame en anglais à la gare du chemin de fer.
À l’arrivée de notre train local, à Joliette, chaque soir vous entendez crier plus fort que le sifflet de la locomotive et avec un faux accent de saxon au milieu de la foule toute canadienne : «Chevalier hotel ! Rivard hotel, etc !»
Pourquoi cela ? Pourquoi ne pas dire simplement : «hôtel Chevalier ! hôtel Rivard» ? Croit-on que l’on ne serait pas tout aussi bien compris ?
Mais, braves amis, vous n’avez autour de vous que des Canadiens-français. D’un autre côté, pensez-vous que l’étranger qui débarque à Joliette, quelque soit son origine, ne sait pas parfaitement qu’il arrive dans une ville canadienne-française où l’on parle le français ?
Du reste, raisonnons l’anglais — si anglais il y a — qui ne comprendra pas tout aussi bien le cri de : «hôtel Chevalier !», que le cri de «Chevalier hotel» pourrait sans inconvénient être rangé parmi cette classe d’être qui ne couche ni dans les hôtels ni dans les maisons ordinaires, mais qui couche à la porte de la grange.
Si vous rencontrez un anglais qui voudra loger au Chevalier hotel et qui refusera de loger à l’hôtel Chevalier, ne courez pas après lui, car il a pris le train de Joliette pour celui de Beauport.
Allons, jeunes amis, parlez donc français ! Vous serez compris par tout le monde et vous ne vous rendrez pas inutilement ridicules !
Cette image de l’arrivée d’excursionnistes à la gare de Joliette est parue dans L’Album universel du 22 juillet 1905. On la retrouve sur le site de Bibliothèque et Archives nationales du Québec au descripteur «Joliette (Québec)»