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Que dire sur les couleurs ?

Et qui croire à ce sujet ? J’ai toujours été très perplexe devant le texte de quelqu’un qui nous interprétait les couleurs. Et je le demeure tout autant devant celui-ci, non signé, qui paraît en page 463 de L’Album universel du 19 septembre 1903.

Il est des couleurs qui affolent. Ainsi, par exemple, une personne qui resterait, enfermée, pendant un mois entier, dans une chambre entièrement tendue de pourpre et dont les vitres seraient teintées de rouge, deviendrait inévitablement  folle au bout de ce temps, quelle que puisse être sa puissance cérébrale, et il est même douteux qu’elle pourrait recouvrer la raison. […]

La couleur écarlate est tout aussi redoutable, mais elle agit différemment. Cette couleur violente produit ce qu’on appelle la manie homicide — la vision rouge — sorte de folie qui pousse celui qui en est possédé à attenter à la vie de ses semblables, surtout à celle de ses proches. […] À l’encontre de cette couleur qui porte à verser le sang des autres, le pourpre inspire des idées de suicide à celui qui se trouve sous sa fatale influence. C’est une nuance qui porte à la mélancolie.

Quant au bleu, à la condition de n’être pas touché de rouge, c’est un stimulant pour le cerveau, qu’il aide puissamment; mais il ne faut pas que son action se prolonge outre mesure, autrement ses effets deviennent désastreux. C’est une couleur absorbante qui agit sur la matière cérébrale à la façon d’un médicament trop énergique qui, par son action d’une énergie excessive, tue au lieu de vivifier.

En effet, le bleu, en excitant l’imagination, inspire le goût de la musique et du théâtre, aussi la réaction ébranle-t-elle le système nerveux. Si on en doute, que l’on fixe pendant quelque temps une feuille de papier ou un carré d’étoffe bleue, — non pas des fleurs, car elles contiennent une bonne partie de vert dans leur bleu — et l’on éprouvera un certain mal aux yeux, accompagné d’une sensation pénible de malaise.

La couleur verte, par contre, est la reine des couleurs, et ne peut jamais faire de mal, quelle que soit sa quantité; bien loin de là, elle calme tout le système et conserve la vue. Une personne qui serait enfermée pendant tout un mois dans une atmosphère baignée de lumière verte artificielle, sentirait sa vue immensément améliorée, mais aussi cet avantage lui deviendrait fatal, car, en rentrant dans un milieu normal, elle serait devenue incapable de soutenir l’éclat de la lumière et des couleurs ordinaires. […]

On se figure généralement que le ciel, par un temps clair, est bleu. En réalité, le ciel est blanc, teinté de vert, et ce n’est que l’éloignement et l’extrême pureté de l’air qui le font paraître bleu. […]

D’autre part, si l’on n’en abuse pas au point de s’y noyer, pour ainsi dire, le jaune est bien la couleur la plus gaie et la plus salubre qui existe, et qui éclairera le mieux une pièce sombre, là où le vert pourrait paraître froid et triste. Mais, quant à être saturé au point de ne plus pouvoir s’en passer, ceci déterminerait la folie nerveuse en moins de deux mois.Le blanc uniforme et ininterrompu détruirait la vue aussi sûrement que le ferait la «cataracte», si on y était exposé rien qu’une semaine seulement. En effet, le blanc tue le nerf optique, et la vue s’éteint comme la lumière d’une lampe, tandis que son action sur le cerveau est si pernicieuse que la cécité même, qu’elle entraîne à sa suite, semblerait presque un soulagement.

C’est pour cette raison que les explorateurs polaires portent des lunettes teintées, vertes ou bleues; car, s’ils négligeaient cette précaution, la «cécité de la neige», comme on l’appelle, et qui n’est d’autre, en réalité, que la «cécité de la blancheur», est chose pour ainsi dire certaine. Et, même dans ces régions glacées, le blanc n’est pas absolu, car il est rompu par la teinte du ciel; s’il n’en était ainsi, nul homme ne pourrait y vivre sans porter des lunettes à verres de couleur.

 

L’illustration est le troisième de couverture de l’ouvrage des Sœurs de Sainte-Croix, Cours pratique de dessin d’observation aux maîtres de l’école primaire canadienne, Saint-Laurent, 1928. Il faut supposer que l’élève l’avait décoré à sa guise. Merci à mon bouquiniste Michel Roy pour le prêt de cet ouvrage.

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