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Le chapeau de paille (seconde partie)

Nous voilà donc en été, au temps des chapeaux de paille. Le journaliste Jacques Loiseau reçoit un mandat de son patron. Puis il raconte son histoire dans L’Album universel du 8 juillet 1905 sous le titre «Chapeaux de paille d’Italie». Allons-y voir.

Nul n’ignore les vers célèbres et peu flatteurs pour le beau sexe que, jadis, le chevalier François 1er écrivit sur une vitre du château de Chambord. J’ai bien envie de les parodier ainsi :

 

Souvent mode varie
Bien fol qui s’y fie.

C’est que, voyez-vous, cette fameuse mode vient de me jouer un petit tour qui m’a un peu mortifié. Il est vrai, je ne fais point mystère de confesser mon ignorance en fait d’oripeaux, fanfreluches et mille autres chiffons et dentelles, dont raffolent mes coquettes sœurs; n’empêche que je ne me croyais pas aussi ignare que je me sens l’être, lorsqu’il s’agit de l’objet commun, tour à tour artistique, horrible ou adorable, qu’on nomme un chapeau de dame.

Donc, mon directeur, en quelques mots très brefs, m’avait demandé un article sur les chapeaux de paille d’Italie. Ajoutant : dans telle rue, au pied de la rue Ste-Catherine, vis-à-vis du Gésu, vous trouverez un magasin qui offre la nouveauté à ce sujet. Vous vous documenterez et… vous apporterez un article que vous ferez à votre guise, afin de le rendre intéressant pour les lecteurs de l’Album universel.

Dans mon for intérieur, je me disais : cela ressemble à une «colle» journalistique, ce qu’on te demande, mon ami. Mais la consigne ne se discutant pas, j’accepte la corvée et crayon en poche, dare-dare, je file vers le mystérieux magasin.

Chemin faisant, je réfléchis : En somme, des chapeaux de paille d’Italie, ça peut se décrire. Ces marchandises ne changent guère depuis un temps immémorial, et puis je broderai un peu, je parlerai du grand chapeau mousquetaire, que, tout enfant, j’admirai dans un portrait de grand’mère.

Et, le souvenir aidant, je revoyais mon aïeule (morte depuis longtemps), à cheval, cravache en main et l’œil brillant de jeunesse, très belle, sur une monture de chasse qui semblait vouloir sauter hors de le toile…

J’arrive chez le marchand, importateur des chapeaux de haut goût que porte tout le Montréal féminin. Bien entendu, c’est un Italien. Comme je me pique de savoir assez bien la langue de Dante, j’entre tout de suite dans les détails de mon sujet.

Or, vous dirais-je, chères lectrices, dès les premiers mots de mon interlocuteur, d’ébahissement, les bras me retombèrent le long du corps, tandis que mes doigts se crispaient sur le fidèle crayon.

Je venais d’apprendre, ni plus ni moins, que les trois quarts des chapeaux dits de paille ne sont plus du tout de paille ! Il y avait n’est-ce pas de quoi désarçonner même un journaliste ! […]

Sur ce, gracieuses lectrices, oyez les technicalités que débita l’Italien de tantôt :

Il y a bien longtemps, me dit-il, qu’en Italie, l’on cultive de la paille pour les chapeau. Au pays du Tasse, on la sème et on la soigne avec autant de soin que le blé. Car, dans ce cas, le mot paille a une signification spéciale. Que, si vous voulez plus de précision, j’ajouterai que cette paille est produite par une graminée de la famille des céréales. Seulement, comme dans la culture de cette plante, on vise spécialement la production d’une belle et bonne paille, longue et flexible, par d’habiles sélections on est parvenu à donner au grain son minimum de développement dans l’épi. Du reste, sa seule mission est de remplir le rôle de semence tous les printemps. […]

Le propriétaire du magasin y va de longues explications sur les chapeaux italiens faits de paille. Puis il passe à de nouveaux chapeaux, non plus de paille, mais de bois !

Depuis nombre d’années, on fabrique en Italie des chapeaux tels que quelques-uns de ceux-ci, faits… avec des copeaux de bois et des cordelettes végétales. Même, d’aucunes de ces fibres cordées, celle de l’agarrè d’Amérique, je crois, nous viennent de Cuba.

Il n’en fallait pas plus. Voilà le journaliste montréalais stupéfait.

L’obligeant négociant se tût, sur ces mots, et, à loisir, très captivé, j’examinai, comme je ne le fis jamais, maints chapeaux : bleu clair, roses, vert nil, chamois, feuille-morte, etc., bref toute la gamme des nuances qui chatouillent la vue.

Et, avec cela, si délicats ces chapeaux, si artistiques, si chics, en un mot. Jamais je n’aurais cru qu’un couvre-chef de femme put me donner de telles sensations. Pour une fois, ce que c’est tout de même que de regarder les choses de près !

C’est au point que j’ai presque envie de me marier, pour offrir à ma femme une de ces merveilleux chapeaux qu’on dirait sortis des mains d’une fée.

 

Au sujet du chapeau du personnage ci-haut, n’allez surtout pas croire qu’il s’agit d’un de ces beaux chapeaux italiens provenant de Livourne, non plus un de ces couvre-chefs de copeaux. C’est un modeste Lyle & Scott, d’Écosse, à petit prix.

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