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Étonnante réflexion sur l’éducation

Le 4 juin 1906, l’abbé F. A. Baillargé, curé de Saint-Hubert, une ancienne ville au sud de Montréal, rattachée depuis à Longueuil, se choque. Il en a ras-le-bol du véritable moule dans l’enseignement auprès des enfants québécois et écrit au quotidien montréalais La Patrie qui publie son texte le 8 juin 1906 sous le titre «L’uniformité des livres est une absurdité». J’aime beaucoup.

Si le mode d’action d’un être dépend de sa manière d’être, son mode de formation dépend également de sa manière d’être.

L’esprit et la matière n’ayant pas la même manière d’être, il y a donc absurdité à les former de la même manière ! C’est ce que fait, cependant, l’uniformité des livres !

Lorsqu’un manufacturier veut faire des clous, il prend du fer qu’il soumet invariablement au même feu, au même soufflet, au même laminoir, au même ciseau, à la même enclume, au même alliage, aux mêmes instruments de tête, de pointe, etc., etc., et tout cela, c’est bien, parce que le fer c’est de la matière, inerte de sa nature, obéit de la même façon, dans la même machine, sous l’impulsion uniforme de la même main.

L’uniformité des livres dans les écoles, c’est partout : le même programme, la même méthode, le même enseignement, la même manière de voir, d’entendre, les mêmes exercices, les mêmes phrases, les mêmes problèmes, sur les mêmes sujets, dans la même mesure de nombre, de poids et d’espèce, les mêmes meubles dans toutes les mémoires, les mêmes idées dans toutes les intelligences, les mêmes coups de pinceau dans toutes les imaginations, les mêmes inductions, les mêmes déductions, les mêmes couleurs et les mêmes coups de ciseaux dans toutes les régions pédagogiques, le même défaut d’initiative chez les professeurs, le même encadrement pour tous les élèves, le même sceau sur la jeunesse studieuse, et, par la suite, la même insignifiance.

L’école devient donc une manufacture, où l’esprit est manipulé, tout comme le fer, le bois ou le suif, dans l’industrie. Peut-on concevoir quelque chose de moins sensé et de plus absurde ?

À ce compte, les professeurs sont inutiles. Il suffira d’un bon professeur sur chaque matière. Ce professeur fera passer ses leçons sur des cylindres ou sur des disques. Il n’y aura plus qu’à mettre dans chaque classe un bon phonographe, qui jouera dans l’école le même rôle que la machine dans la manufacture.

Quelle économie !
Vive le progrès !
Hourra pour les réformateurs !

 

Ce discours est incroyable, révolutionnaire, pas que pour l’époque, même pour aujourd’hui. Au fond, de manière détournée, il pose la question «Dans le réseau scolaire, comment faire pour que chacun de nos enfants puisse révéler les originalités qui lui sont propres ?» Et on ne s’attarde jamais à y répondre vraiment.

L’illustration est la couverture du livre d’Alexander Sutherland Neill (1883-1973), un pédagogue anglais qui fonda en 1921 un établissement d’enseignement dont les principes de fonctionnement sont la liberté en une forme de démocratie basée sur l’égalité des voix pour sa gestion. L’ouvrage de Hill, paru originellement en anglais en 1960, fut traduit et publié aux éditions François Maspero en 1971. Une page Wikipédia est consacrée à cet établissement d’enseignement.

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