Les ruelles à Montréal, une misère
Il y a quelques jours, j’évoquais la saleté des ruelles montréalaises, le terrain de jeu par excellence des enfants des quartiers populaires. Le journal La Patrie revient sur le sujet le 10 mai 1904. L’article a pour titre «Le nettoyage des ruelles. Le département de l’incinération a trop à faire et le public doit attendre, dit l’échevin Lavallée. Des plaintes sans nombre».
L’échevin Lavallée a eu à répondre à plusieurs interpellations à la séance du conseil hier, relativement aux vidanges. Un rédacteur de «La Patrie», non satisfait des questions faites par les échevins au conseil, a obtenu une entrevue de M. Lavallée et a posé les questions suivantes :
Q. Est-il à votre connaissance que, dans les rues de Montréal, même les 6 grandes artères, on rencontre des tas d’ordures, d’immondices de toutes sortes, des barils de déchets, de pourritures qui sont du plus mauvais goût pour l’œil et l’odorat en même temps qu’une menace pour la santé publique ?
R. Si vous disiez les ruelles, au lieu des rues, répond M. Lavallée, je dirais oui, avec empressement. Je ne sache pas que l’enlèvement des vidanges se fasse mal pour les rues. Ce sont les ruelles qui souffrent.
Q. Est-il à votre connaissance qu’en maints endroits les vidanges n’ont pas été enlevées pendant au moins trois semaines ?
R. Trois semaines, c’est peut-être exagéré. Je n’ignore pas que l’enlèvement des vidanges est en retard, mais c’est à une cause majeure que c’est dû. Nous n’avons pas eu de printemps cette année. Les chaleurs sont venues tout à coup. Pendant des semaines, il était impossible à nos voitures de passer par les ruelles; il y avait de la neige molle à une épaisseur de deux à trois pieds, et les roues ne pouvaient rouler là-dedans. Plus tard, quand la neige est partie, nos voitures enfonçaient dans la boue jusqu’aux essieux. En même temps, les gens faisaient le nettoyage des cours et des hangars. La plus grande partie des citoyens gardent des cendres pour l’hiver, et nous les font enlever d’un bloc au printemps, de sorte que nous avons à enlever les vidanges de tout un hiver. D’ailleurs, ce n’est pas nouveau. La même chose se répète tous les printemps, et je soutiens que cette année nous sommes plus avancés que d’habitude. Dans trois ou quatre jours, nous aurons terminé le nettoyage des ruelles.
Q. Combien avez-vous de voitures employées à l’enlèvement des vidanges ?
R. Nous avons d’abord les 75 voitures du département de l’incinération et 30 ou 40 voitures louées; nous engageons chaque matin tous les attelages que nous pouvons trouver; mais nous n’en trouvons pas assez. Ces voitures et les hommes travaillent au moins treize heures par jour.
Q. Alors, que comptez-vous faire pour faire face à la situation ?
R. Je ne vois qu’un seul moyen, c’est de forcer les gens à déposer chez jour d’hiver dans un baril, dans la ruelle, leurs cendres, afin que celles-ci ne soient pas accumulées au printemps.
Q. En face des plaintes nombreuses d’aujourd’hui ?
R. Il n’y a qu’un remède, c’est de prendre patience; encore trois ou quatre jours et tout ira bien. Nous pourrions aussi poursuivre chaque citoyen dont la négligence et l’incurie contribuent à l’encombrement des ruelles, mais alors il nous faudrait poursuivre chaque citoyen, ce serait la ville poursuivant la ville. Alors mieux vaut attendre.
* * *
Le docteur Laberge, surintendant du département d’Hygiène, interrogé sur le même sujet, nous dit :
Il y a force majeure; la même chose se répète tous les printemps; cette année est pire que les autres, parce que, sans transition, nous avons passé de l’hiver à l’été, Il y aurait à craindre pour la santé publique si nous avions de grandes chaleurs.
Avec le temps frais que nous avons, il n’y a pas de danger imminent. Nous recevons chaque jour un grand nombre de plaintes dont nous ne pouvons rien faire. Nos inspecteurs, ils sont dix, ils devraient être trente, constatent que les cours sont malpropres, les ruelles aussi; ils ordonnent le nettoyage des cours, mais se bornent à constater la malpropreté des ruelles, et à prévenir le département de l’incinération.
Ces jours-ci, les vidanges sont trois fois plus considérables que dans les temps ordinaires et le personnel préposé à leur enlèvement devrait être triplé. Le département d’hygiène ne peut que constater; il lui est impossible de prendre des procédures contre le département de l’incinération.
Ci-haut, une ruelle du faubourg Stadacona, à Québec.
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