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Polémique autour du poète Octave Crémazie

Le journaliste et historien trifluvien Benjamin Sulte (1841-1923) a toujours aimé la polémique. Dans L’Album universel du 19 avril 1902, le voici qu’il s’en prend au poète de Québec, Octave Crémazie (1827-1879), pourtant décédé depuis 1879 et enterré à Ingouville, en Seine-Maritime, en France. Et oh qu’il est méchant ! Voici son propos.

La petite religion des Vive la France n’est pas ancienne, toutefois elle ignore elle-même ses origines et ne connaît ni le nom ni l’histoire de son prophète. En cela, elle se montre fidèle au système d’ignorance qui la distingue.

Le créateur de la secte était un épicurien de la ville de Québec, un marchand sans marchandises, incapable de faire œuvre de ses dix doigts, mais comme compensation, poète, bohème, faussaire et contumace. Tel était Octave Crémazie, le Mahomet des patriotes manqués.

Il faisait très bien les vers et débordait d’imagination. Va sans dire qu’il n’éprouvait aucun penchant pour les choses sérieuses.

Son histoire du Canada ressemblait à n’importe quel rêve poétique. Il inventait des blagues à succès, comme le «Drapeau de Carillon», le «Vieux soldat», qui sont en désaccord complet avec la vérité historique… et qui vivront toujours néanmoins.

Il avait la douce habitude de plagier les poètes français que les Canadiens ne connaissaient pas.

Son talent réel lui valait des applaudissements. Bientôt ce fut toute une école qui se répandit dans la province. Il infusa l’amour de la France à la génération de 1850. De lui procèdent ces têtes en l’air, ces exaltés, souvent polissons, qui parlent de ce qu’ils ne comprennent pas, et qui nous feraient vivre dans l’eau chaude, s’ils étaient plus nombreux, mais leur bande diminue au cours des années.

Le prophète a mis en scène des Canadiens d’autrefois comme il n’y en eut jamais : ils plaisent aux gens qui n’y entendent rien, c’est-à-dire que c’est de la bouillie pour les chats.

Le premier usage qu’il fit se sa popularité fut de stimuler l’ardeur du commandant Belvèze, lors en visite dans le Bas-Canada. Le pauvre marin se livra à tant d’excès de patriotisme que Napoléon III le mit à terre aussitôt son retour en France.

Juste en ce temps-là, 1854, les Anglais commettaient la maladresse d’introduire dans le Canada le pavillon tricolore de France que nous n’avions jamais vu auparavant. Crémazie n’eut rien de plus pressé que de se mettre à «délyrer» sur le sujet. Quel feu d’artifice, mes bons ! je m’en souviens comme d’hier.

La doctrine des Vive la France avait désormais ses apôtres, avec le Coran du barde québecquois.

Les Bédouins du pays, les baguenaudiers, les incompris, les rêveurs, les ratés de tous les genres, épousèrent cette croyance qui leur promettait un paradis en ce monde et des félicités éternelles dans l’autre.

Mahomet Crémazie voulant donner l’exemple aux vrais croyants ne se rendait utile ni aux uns ni aux autres, ni à lui-même.

Un jour que le vent du désert soufflait plus fort que d’habitude autour de sa tente, l’inspiré qui avait dit «Gesta… per Francos» traça dans un moment d’extase les portraits fidèles de la signature de plusieurs chrétiens et les mit en circulation à la banque.

Vous comprenez la suite, ce fut la fuite.

Oui, 1240 ans après l’hégire du prophète des Arabes, le Mahomet du Canada franchissait la limite de son pays natal et allait mourir de faim dans un coin de la Gaule, cette terre promise qu’il aimait tant et où reposent les os des anciens exploiteurs du Canada.

Vive la France, refuge des pécheurs !

Benjamin Sulte

 

Demain : la réponse du journal aux propos de Sulte.

On trouvera cette caricature de Sulte bravant Québec, parue dans L’Album universel du 7 juin 1902, à l’adresse suivante : http://bibnum2.banq.qc.ca/bna/illustrations/accueil.htm, au descripteur «Crémazie, Octave, 1827-1879».

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