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Non, non et non, gardons intacte «Un Canadien errant»

Vous vous souvenez de ce curé du Maine, l’abbé Burke, qui proposait de modifier la chanson «Un Canadien errant» et de la réponse d’un jeune poète, Germain Beaulieu, à sa proposition. Voir cet article à ce sujet.

Or, le curé refuse de se rallier et revient à la charge dans Le Monde illustré du 13 février 1892. Il y tient, le vlimeux. Pour lui, continuer à y aller de ce chant d’Antoine Gérin-Lajoie est «un véritable anachronisme». « Il y a 40 ou 50 ans, personne ne pouvait s’y tromper, le Canadien errant n’était autre que l’exilé de 1837. À la bonne heure. Mais aujourd’hui, dans l’idée de tout le monde, le véritable Canadien errant, c’est l’émigré volontaire. Il s’appelle légion. […] Vous, messieurs les érudits, vous pouvez faire exception, je le concède; vous comprenez ce que vous chantez. Mais le peuple n’en est pas là. Loin de là. »

 

Une semaine plus tard, le 20 février, Beaulieu lui répond :

C’en est fait ! je suis un esprit contradicteur. Car je ne partage pas les opinions de M. L’abbé Burque. […] Or les preuves qu’apporte M. Burque à la nécessité de modifier la romance du Canadien errant ne m’ont nullement convaincu. Que dis-je ? Plus encore que jamais je tiens à mon opinion : que cette romance doit rester intacte. Cette modification qu’on veut y apporter me paraît d’abord tout à fait impossible : le peuple ne l’acceptera pas. Il s’est habitué à chanter la romance telle que l’a composée Gérin-Lajoie; il ne saurait la chanter autrement. Les mots en sont gravés dans son cœur et rappellent à sa mémoire le souvenir des nobles luttes de nos pères; car le peuple, sous ce rapport, n’est pas aussi ignorant que veut le faire croire M. l’abbé Burque : qu’on lui parle des événements de 37 et l’on verra s’il les ignore ! et l’on verra s’il a oublié les malheureux exportés sur le triste sort desquels Gérin-Lajoie a composé sa romance.

On me parle de patriotisme : eh bien ! ce souvenir de tant de luttes le réveillera dans le cœur du Canadien. Oui, quand le peuple chante :

Un Canadien errant
Banni de ses foyers….

il reporte son esprit vers ces jours d’autrefois où nos pères luttaient pour le défense de leurs Droits et de leur Religion; où ils ne craignaient ni l’exil, ni la mort même, pourvu que cet exil et cette mort rapportassent à leurs fils une condition meilleure. Et quand nous avons une romance qui nous rappelle tant de hauts faits et de grandeur d’âme, on voudrait la modifier en ce qu’elle a de plus essentiel ? Et l’on amènerait le patriotisme à l’appui de ce changement ? Eh bien ! moi, je dis que non seulement par patriotisme, mais encore par reconnaissance pour ce qu’ont fait les héros de cette romance, nous devons la conserver telle qu’elle a été écrite; et c’est avec les larmes de 37 qu’elle a été écrite.

Nous montrerons du patriotisme en la conservant ainsi : car ce qui touche à l’histoire de notre pays est sacré, et l’on peut dire que dans ce seul chant du Canadien errant est renfermée une page, toute de dévouement, de notre héroïque histoire; du patriotisme encore, car ce seul chant nous mettra devant les yeux les luttes de nos pères, et nous exhortera à ne pas craindre de tout sacrifier quand il s’agit de Langue, Droits et Religion. Malheureusement, nous sommes encore dans des jours où nous avons besoin de ces exemples.

 

L’illustration présentant le chanteur Philéas Bédard, de Saint-Rémi-de-Napierville, est du peintre Arthur Lismer, du Groupe des Sept. Elle apparaît en regard de la page titre de la publication de Marius Barbeau, Chansons populaires du Vieux Québec, Ottawa, Musée national du Canada, bull. 75, série anthropologique, No. 16, sans date.

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