Châteaubriand et le pays donné
Un jour, ce cher Châteaubriand (1768-1848) s’est payé la traite. Il faut bien dire qu’il se la payait souvent d’ailleurs, car il était reconnu, entre autres, pour avoir une fort belle plume. Écrivain romantique, homme politique français, il était, comme Jacques Cartier, de Saint-Malo, en Bretagne.
Ici, il décide de déshabiller les raisons qui font que nous sommes attachés à un coin de terre particulier. Bien sûr, nous n’écririons plus comme cela aujourd’hui, le style différerait, et l’approche assurément. Le fameux géographe français Pierre Deffontaines (1894-1978), fameux mais à peu près inconnu, des puristes, entre autres, y irait d’un autre texte. Mais il n’empêche. Et, ô surprise ! voilà que l’hebdomadaire de Rimouski, Le Progrès du Golfe, fait sa une de l’écrit de Châteaubriand, le 18 janvier 1907.
L’amour du Pays
L’instinct affecté à l’homme, le plus beau, le plus moral des instincts, c’est l’amour de la patrie. Si cette loi n’était soutenue par un miracle toujours subsistant, et auquel, comme à tant d’autres, nous ne faisons aucune attention, les hommes se précipiteraient dans les zones tempérées, en laissant le reste du globe désert. On peut se figurer quelles calamités résulteraient de cette réunion du genre humain sur un seul point de la terre. Afin d’éviter ces malheurs, la Providence a, pour ainsi dire, attaché les pieds de chaque homme à son sol natal par un aimant invincible.
Les glaces de l’Islande et les sables embrasés de l’Afrique ne manquent point d’habitants.
Il est bien digne de remarque que, plus le sol du pays est ingrat, plus le climat en est rude, ou ce qui revient au même, plus on a souffert de persécutions dans ce pays, plus il a de charmes pour nous. Chose étrange et sublime, qu’on s’attache par le malheur, et que l’homme qui n’a perdu qu’une chaumière soit celui-là même qui regrette davantage le toit paternel. La raison de ce phénomène, c’est que la prodigalité d’une terre trop fertile détruit, en nous enrichissant, la simplicité de nos besoins; quand on cesse d’aimer ses parents parce qu’ils ne nous sont plus nécessaires, on cesse, en effet, d’aimer la patrie.
Tout confirme la vérité de cette remarque. Un sauvage tient plus à sa hutte qu’un prince à son palais, et le montagnard trouve plus de charme à sa montagne que l’habitant à son sillon. Demandez à un berger écossais s’il voudrait changer son sort contre le premier potentat de la terre. Loin de sa tribu chérie, il en garde partout le souvenir; partout, il redemande ses troupeaux, ses torrents, ses nuages. Il n’aspire qu’à manger du pain d’orge, à boire le lait de la chèvre, à chanter dans la vallée ces ballades que chantaient aussi ses aïeux. Il dépérit s’il ne retourne au lieu natal. C’est une plante de la montagne, il faut que sa racine soit dans le rocher; elle ne peut prospérer si elle n’est battue des vents et des nuits : la terre, les abris et le soleil de la plaine la font mourir.
Si l’on nous demandait quelles sont ces fortes attaches par qui nous sommes enchaînés au lieu, nous aurions de la peine à répondre. C’est peut-être le sourire d’un père, d’une mère, d’une sœur, c’est peut-être le souvenir des jeunes compagnons de notre enfance; ce sont peut-être les soins que nous avons reçus d’une nourrice, d’une domestique âgée, partie essentielle de la maison; enfin ce sont les circonstances les plus simples, si l’on veut même, les plus triviales : un chien qui aboyait la nuit dans la campagne, un rossignol qui revenait tous les ans dans le verger, le nid de l’hirondelle à la fenêtre, le clocher de l’église qu’on voyait au-dessus des arbres, l’if du cimetière, le tombeau gothique; voilà tout.
Châteaubriand
On s’enlève du chemin, ce cher Châteaubriand passe.
Ce texte était paru dans l’Album universel (Montréal) du 20 octobre 1906.
N empêche comme vous dites, ce sont des considérations auxquelles je m attarde souvent moi-même : la profondeur des racines, ce qui chez certains les fait aussi fortes, malgré des lieux parfois rébarbatifs à première vue. simple attachement ou programmation ? bien des questions pour moi.
Ah oui, bien chère Vous ! Et j’aime la chute de ce texte de Châteaubriand, les trois dernières lignes en particulier, j’aurais tant aimé les avoir écrites.
« un rossignol qui revenait tous les ans dans le verger » Peut-être pour cela, pour vous, pour moi, pour Châteaubriand ou pour bien d’autres, dans bien d’autres contrées.
Merci d’avoir repéré ce beau texte,
Christiane L.
Merci, chère Christiane. C’est tellement beau !