Skip to content

Le sculpteur Louis-Philippe Hébert prend la parole

Qui travaillerait sur le début des arts au Québec aurait besoin de cette pièce d’archives.

À l’automne 1902, revenant avec sa famille d’un autre séjour à Paris, le sculpteur Louis-Philippe Hébert rentre à Montréal. L’Album universel du 29 novembre écrit : « Plutôt que de soumettre l’éminent sculpteur au supplice de l’interview, nous avons préféré lui demander une expression de vues, par écrit, sur la condition des beaux-arts au Canada. »

Hébert est un grand monsieur. On lui doit, en particulier, une cinquantaine de monuments commémoratifs et funéraires, dont une bonne dizaine sur la colline parlementaire à Québec, y compris La Halte dans la forêt, connue familièrement sous le nom de «La famille amérindienne», à la porte centrale du parlement. Il faut préciser que la statuaire monumentale est en grande vogue en Occident à ce moment. Uniquement à Québec, par exemple, on élèvera 20 statues spectaculaires de 1888 à 1922.

Voici le texte d’Hébert, « haut enseignement, écrit l’Album universel, pour tous ceux qui ont le culte de l’esthétique ».

 

En 1873, lorsque je commençai ma carrière, aucune statue en bronze n’avait été faite par des Canadiens. Nos compatriotes s’étaient contentés de tailler des statues de saints dans des troncs d’arbres, faisant ainsi hommage de leurs talents à l’Église. Les premières manifestations d’art, chez nous, furent religieuses.

Quelques sculpteurs d’ornements se risquaient parfois à faire des statues en bois. Leur travail n’était pas aussi apprécié que celui des peintres, leurs contemporains, qui, sans faire des chefs-d’œuvre, avaient un peu plus de science; peu de noms de sculpteurs nous sont restés. M. l’abbé Beaubien, dans son histoire du Sault-au-Récollet, parle d’un sculpteur Hébert, qui a laissé une certaine réputation dans le district de Montréal : il vivait à la fin du 18e siècle. Mgr Laflèche m’a parlé un jour d’un statuaire du nom de Couvillon [manifestement, il s’agirait de Louis Quévillon (1749-1823)], qui confectionnait des pacotilles de crucifix et de statuettes en bois et en plomb, qu’il vendait l’hiver, colportant sa marchandise dans un traîneau, troquant une sainte Madeleine pour un sac de blé ou des peaux de renards, écrivant n’importe quel nom sur les quelques modèles qu’il fabriquait. Tous ses saints se ressemblaient, comme les membres d’une même famille.

Anatole Parthenais, qui fut élève de l’École des Beaux-Arts à Paris, pendant le second empire, fit un cours brillant et mourut malheureusement sans avoir pu produire. Il repose dans le cimetière de Joliette.

Charles Dauphin, mort en 1873, est probablement celui qui a le mieux fait et produit le plus. Il avait du tempérament, mais manquait de formation; c’était un primitif qui arrivait à rendre son émotion sans savoir son métier.

Notre pays a produit plus de peintres, la peinture étant un art plus séduisant. Plusieurs furent des artistes remarquables; tels les [Joseph] Légaré, les [Antoine] Plamondon, les Théophile Hamel, etc.

[Antoine-Sébastien] Falardeau, passé jeune en Italie, y a fait fortune en vendant des reproductions de musée; mais le plus méritant et le plus célèbre est sans contredit Napoléon Bourassa qui étudia plusieurs années en Italie, d’où il écrivit des lettres qui fixèrent l’attention sur lui. À son retour, il eut à lutter contre la malveillance, et ne fut pas encouragé selon son mérite. Montréal possède deux chapelles décorées par lui : Nazareth et Notre-Dame de Lourdes.

M. Bourassa a peut-être plus le tempérament d’un conteur que d’un peintre. «Jacques et Marie», dont le thème est la dispersion des Acadiens, est un fort joli roman. «Nos Grands’Mères», également de lui, est un livre rempli d’anecdotes dites et d’une observation très juste.

C’est un peintre qui a plutôt écrit que peint ses tableaux. Il a créé par la plume un courant d’idées; il a démontré que le temps était arrivé de faire des œuvres, d’orner les églises, les monuments et les places publiques par la peinture et la sculpture, d’écrire avec le pinceau et le ciseau les actions héroïques de nos aïeux. Il a dénoncé les faiseurs, dépravateurs de goût, et inspiré les hommes publics. Enfin, il a jeté la bonne semence et formé quelques élèves. L’on pourrait presque dire de lui qu’il fut un chef d’école sans disciples.

Voyant les choses de haut, se tenant à l’écart, en vivant isolé dans son rêve, n’aimant pas les affaires, il fit cependant, à un certain moment, quelques efforts pour entrer dans le courant, mais prit bientôt la tangente et fit place aux impatients, pour éviter la bousculade et les promiscuités désagréables.

Si tous ces artistes, dont plusieurs avaient un réel talent, n’ont pas fait de grandes œuvres, c’est qu’ils sont venus trop tôt dans un jeune pays, où la lutte pour la vie absorbait toutes les énergies. Les manifestations d’art ne venant qu’après le développement agricole, industriel et commercial, nos pères s’occupèrent plus à conquérir le bien-être matériel qu’à cultiver les arts. Ceux de leurs fils qu’ils mettaient dans les maisons d’éducation devenaient presque toujours prêtres, médecins, ou avocats. Les prêtres bâtissaient bien des églises, mais ils les bâtissaient modestes, comme la fortune publique; heureux lorsqu’ils pouvaient y placer une image du saint patron, soit peinte ou taillée; et souvent ces tableaux ou statues étaient importés d’Europe par les évêques et les rares curés qui faisaient alors le voyage de la Ville Éternelle.

Pendant la révolution française, un certain nombre de bons tableaux nous sont venus, épaves échappées à la destruction des églises, et sauvées par des religieux ou des amateurs. La Cathédrale de Québec en possède plusieurs, entre autre un crucifiement de toute beauté (on le dit de Van Dyck).

Dans les anciennes familles, l’on trouve souvent des portraits d’ancêtres, sans signature, pour la plupart, et faits par des artistes de passage ou résidant dans les grandes villes. Kreigkof [Cornelius Krieghoff (1815-1872)], peintre russe [Krieghoff est né à Amsterdam], a laissé au pays des tableaux de scènes canadiennes, très recherchés aujourd’hui par les collectionneurs.

La première statue en bronze faite au pays est celle de l’abbé Girouard, fondateur du collège de St Hyacinthe. Elle est l’œuvre de Van Luppen, sculpteur belge, qui a demeuré plusieurs années à Montréal. Elle fut coulée en bronze en 1878, par L. J. Hérard, Canadien-français, établi sur la rue Craig, à l’endroit où est aujourd’hui le bureau des Tramways Électriques.

Cette heureuse initiative eut pour résultat d’éveiller chez les fervents de notre histoire le désir de travailler à élever des monuments à nos grands hommes, en commençant par les fondateurs. Un grand nombre d’articles furent publiés par les journaux, et, comme conséquence immédiate, un comité fut organisé à Montréal pour élever un monument à Paul-Chomedy de Maisonneuve. Les affaires, qui étaient très mauvaises, rendirent la souscription plus que difficile; le projet fut ajourné.

Un an après, M. Dion lança le projet d’un monument au colonel de Salaberry, projet qu’il fit réussir par un travail long et opiniâtre. Son monument est, comme l’on pourrait dire, de l’étoffe du pays : le modèle, le bronze, le piédestal sont l’œuvre de mains canadiennes. Ce fut une révélation.

Depuis, le pays a marché; le progrès matériel a eu son contre-coup artistique. Des monuments s’élèvent un peu partout, d’un bout à l’autre du Canada, soit par les soins des gouvernements ou par souscription volontaire.

L’architecture a aussi fait de sensibles progrès.

L’on peut aujourd’hui suivre des cours de littérature sans sortir de chez nous.

Le théâtre prend aussi racine.

Partout, l’on voit culture, épuration du goût, progrès, et, comme disait l’Hon. M. Tarte, dans un banquet à Paris, nous sommes devenus une nation.

Pour le présent, faisons-nous un devoir de produire, de nous affirmer; L’avenir sourira à nos fils.

Philippe Hébert

 

On trouve la biographie de Louis-Philippe Hébert (1850-1917) par Yves Lacasse dans le Dictionnaire biographique du Canada.

La photographie de Louis-Philippe Hébert publiée dans l’Album universel du 14 juin 1902 apparaît dans le site http://bibnum2.banq.qc.ca/bna/illustrations/accueil.htm, au descripteur «Hébert, Louis-Philippe, 1850-1917».

No comments yet

Publier un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Vous pouvez utiliser des balises HTML de base dans votre commentaire.

S'abonner aux commentaires via RSS