La réclame, partout la réclame !
Depuis quelque temps, certaines personnes, ici comme ailleurs, s’émeuvent de ces vieilles publicités de 1900 affichées sur les murs de brique de nos villes. Elles semblent leur rappeler le bon temps, celui où grand-papa nous berçait sur ses genoux, où la vie, si peu chère, baignait calmement dans les couleurs du temps, où, partout, les rapports humains se faisaient dans la gentillesse le plus fine, bref, où tout nous souriait. On se prend à s’ennuyer de ce temps.
En fait, ces vieilles images évanescentes éveillent en nous notre vieux fond de romantisme, mâtiné de nostalgie. C’est l’auteur-compositeur-interprète Michel Rivard, je crois, qui disait que la nostalgie est bien mauvaise maîtresse, car insatiable. À la vérité, il ne faut pas voir dans ces images le rappel d’une vie qui était un «jardin de roses». L’homme était en guerre à plusieurs endroits, des grands-papas ne berçaient pas tous sur leurs genoux, beaucoup mouraient bien jeunes d’ailleurs sans même qu’on les ait connus, la vie coûtait aussi chère qu’aujourd’hui, et quoi encore…
Venons-en à la publicité. À la «réclame», dit-on à l’époque; le mot «publicité» apparaîtra seulement au 20e siècle. Elle est déjà présente partout, la gueuse. Elle occupe déjà le moindre espace dans nos vies. Nos villes en sont couvertes. Elle ne nous donne pas la chance d’un milieu non pollué de messages commerciaux. Partout, toujours, de la réclame, où que nous levons les yeux.
Même les journaux en sont infestés. Travaillant aujourd’hui dans la presse québécoise de 1900, il faut commencer la lecture d’un article par le dernier paragraphe pour s’assurer qu’à la fin, on ne sera pas en train de nous vendre un produit quelconque. Rappelez-vous l’histoire de ce cornac marchant dans les rues de Bruxelles avec son éléphant et qui s’arrête prendre un coup dans un bar quelconque, laissant sa bête à la porte.
Voici le texte du journaliste et avocat Edmond Paré (1857-1897), qui signe sous le nom de Fantasio, texte paru dans l’hebdo L’Union libérale du 6 décembre 1889. Paré n’en peut plus de l’omniprésence de la réclame dans les journaux du temps.
S’il y a une chose contre laquelle on doit guerroyer, c’est l’envahissement effronté de la réclame. Tour à tour hardie ou hypocrite, insinuante ou tapageuse, elle a envahi la première et la seconde page du journal, se glissant entre les articles politiques, côtoyant le feuilleton, s’emparant des faits divers où elle règne en maîtresse.
Les bonnes gens qui se délectent des faits divers ne lisent plus les catastrophes et les meurtres qu’avec amertume, craignant toujours de tomber dans quelques pièges. Quant à moi, chaque fois que j’aperçois un titre tel que «Horrible assassinat» ou «Terrible accident», je me dis «Arrête un peu, mon bonhomme, je connais ça«; et je saute par-dessus l’entrefilet.
Si on n’agit pas sévèrement, si les tribunaux ne condamnent pas les coupables à quelque peine infamante, la réclame va pénétrer et s’insinuer dans les sciences, les lettres et la politique. Je ne sais pas quel écrivain a déjà émis cette idée pensant faire une bonne plaisanterie. Il n’avait fait que prédire la vérité : ça va devenir un fait accompli.
La réclame vous guettera au coin de ce feuilleton qui met tant de roses sur vos joues et tant d’éclat dans vos yeux, mademoiselle. La réclame grimacera bientôt sur les pages émues de ce roman que vous feuilletez de vos blanches mains, madame.
On y lira des phrases comme celle-ci : «Laure, troublée par ce langage passionné et nouveau pour elle, cache sa figure rougissante derrière un de ces jolis éventails que M. Seifert a toujours en mains. »
Ou encore : «Arthur très pâle leva sur son adversaire un de ces revolvers de luxe, acheté chez Shaw et Cie, les populaires quincailliers, et fit feu. Lestrange tomba le front troué.»
On peut multiplier les exemples.
«Hermine, glacée d’épouvante, les yeux hagards, les cheveux dénoués sur ses épaules frémissantes, ressemblait à la statue de la terreur; de sa main crispée, elle déchirait les fines dentelles de son corsage que venait justement de lui envoyer M. Simard, le marchand de nouveautés bien connu.»
Quel sombre drame allait-il se passer ?
«Pour toute réponse, Emma cacha sa tête blonde dans la poitrine de Raoul. Le mariage eut lieu six mois plus tard. Ils eurent beaucoup d’enfants mais les élevèrent sans peine, ayant pris l’habitude de se servir de l’Ami des enfants.»
Les nouvelles politiques contiendront des entrefilets invraisemblables; exemple :
«En réponse à M. Shehyn, M. Desjardins fit un discours foudroyant. La voix puissante du tribun a fait trembler les ministres. Cela n’étonnera nullement le public quand il saura que M. Desjardins emploie maintenant les pastilles de Brown en vente chez tous les pharmaciens.»
Arrêtons-nous, car je sens mes cheveux se hérisser d’horreur.
C’est vous dire. La publicité nous «couvrira de ses bontés» durant tout le 20e siècle, toujours aussi présente qu’alors. Véritable hydre, lui coupe-t-on la tête à un endroit qu’elle repousse aussitôt à sept autres. Lui ferme-t-on la porte avant qu’elle entre vite par la porte arrière, la fenêtre de la cuisine ou le soupirail de la cave. Ouvrons-nous nos garde-robes que nous constatons que les équipementiers ont fait de nous des hommes-sandwiches à leur service, mais sans rétribution. Mettons-nous le nez dehors que nous traînons sur nos vêtements une kyrielle de marques de commerce sans jamais être payés. Examinons-nous le contenu de nos bacs de recyclage que nous constatons la présence folle de publicité inutile. La pub, ce n’est pas à nous qu’elle rapporte, elle exige plutôt de nous qu’on soit à son service et elle nous coûte très cher.
Ci-haut la vieille publicité de cigarettes Sweet Caporal surplombe la magnifique place de la FAO, à Québec, au coin des rues Saint-Pierre, du Sault-au-Matelot et Saint-Paul, à la basse-ville de Québec. Cette place fut créée en 1995 pour marquer le 50e anniversaire de la fondation par 44 pays réunis à Québec, en octobre 1945, du premier organisme permanent des Nations-Unies, l’Organisation des Nations-Unies pour l’alimentation et l’agriculture. En son cœur, baignant dans un bassin d’eau circulaire, une figure de proue magnifique, surgie du sol, La Vivrière, porte dans ses bras toute une gamme de produits alimentaires offerte à l’humanité. Autour du bassin, le pavé de béton évoque la forme de vagues, le temps où le Saint-Laurent venait lécher le cap à cet endroit.
Ici, nous sommes un matin de semaine. La population s’active, chacun va son train. À gauche, une dame, ou serait-ce plutôt un homme, met une pièce dans le parcomètre. À droite, un technicien, grimpé dans son échelle, est occupé à quelque branchement. Un taxi vient vers nous. Et la belle Vivrière se tient dans un bassin à sec, car les nuits de gel sont maintenant là.
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