Retourner en classe, mais en plein air
En 1900, les classes recommencent le lendemain de la fête du travail. Il faut rentrer. Mais il y a encore de bien beaux jours à venir. Pourquoi l’enseignement en plein air ne serait-il pas possible pendant quelques semaines alors ? Dans sa chronique hebdomadaire au journal Le Canada, le samedi 25 août 1906, Margot voit venir la reprise des classes et pose la question, prenant exemple de ce que font les religieuses du couvent de Sainte-Anne à Saint-Jérôme.
Quand sonnera le glas du joli mois d’août, les vacances auront cessé de vivre !
Leur deuil, sans doute, sera porté par des centaines de milliers d’élèves qui, malgré leurs bonnes aptitudes au travail, voient s’ouvrir avec un peu de chagrin les grandes portes des couvents et collèges.
Être enfermé dans des classes chaudes, au mois de septembre, quand les oiseaux chantent leurs plus jolies romances aux petits ruisseaux qui sanglotent d’attendrissement, croyez bien que c’est dur ! Ah ! combien je me rappelle mes années de couvent, à l’ouverture des classes, quand il me fallait quitter les plages pour revenir au devoir !
Revêtue de la pesante robe noire, le cœur encore bondissant des plaisirs de l’été, j’entrevoyais par la fenêtre les beaux jardins environnants, l’âme envahie du désir insensé de sauter de ma classe dans l’herbe pour m’y rouler encore longtemps, jusqu’à ce que tombent les feuilles…
Sans goût, je reprenais mes livres, et armée d’un crayon, j’en barbouillais les premières pages de dessins, pas beaux, mon Dieu ! mais où je m’imaginais apercevoir encore la petite rivière et les grands jardins fleuris qui avaient entendu mes éclats de rire de fillette en vacance !
Les deux premiers mois qui ouvraient l’année scolaire, je ne faisais rien de bon — hypnotisée par la beauté des feuilles mourantes, grisée par la senteur des blés mûrs qui me montaient au cœur !
Les enfants sont un peu comme les oiseaux — pas nés pour rester toujours en cage — et c’est bien pour leur donner une chance d’ouvrir encore les ailes, que les Sœurs du Couvent de Ste-Anne, à Saint-Jérôme, ont eu la magnifique idée de faire construire dans leur immense jardin trois superbes kiosques, meublés de chaises, tables, pupitres, qui serviront de classes à leurs élèves, dans les plus beaux mois de l’année, quand au fond de leur couvent, les vilains microbes de l’ennui et de la fatigue se feront sentir.
Laissez la porte de la volière ouverte, l’oiseau se pense en liberté. Ainsi, dans un joli jardin, les petites élèves se croiront encore en vacance, tout en travaillant à l’air pur !
Combien d’enfants, à la rentrée des classes, envieront les élèves du couvent de St-Jérôme, en train d’étudier, de calculer, dans les grands jardins fleuris qui, n’en doutons pas, serviront bien d’inspiration à leur composition et mettront bien aussi quelque peu leur parfum aux jolies fleurs de Madame la Littérature.
Ne trouvez-vous pas que tous les couvents et collèges devraient suivre le bon exemple des Sœurs de Ste-Anne, et faire en sorte que leurs élèves puissent travailler dehors aussi tard que possible, surtout à la fin de l’été, quand les chaleurs trop fortes affaiblissent tant de pauvres petits êtres ?
Avouons donc qu’il n’y a rien comme l’air pur et le soleil pour ranimer le courage — et que les enfants courageux remportent toujours les premiers prix.
L’auteure de ce texte signé Margot est Marguerite Demontigny, née à Montréal le 20 février 1880 et décédée le 23 octobre 1954. Elle épousa en 1909, toujours à Montréal, Émile Gaboury. À l’occasion, après sa signature, elle ajoute « Sainte-Rose». Peut-être habite-t-elle à cet endroit alors ? Il est étonnant que l’histoire n’ait pas retenu cette dame. On n’arrive guère à trouver de l’information à son sujet sur internet. Non plus dans les dictionnaires de «littérateurs» que j’ai sous la main. Pourtant, Bernard Vinet, dans son ouvrage Pseudonymes québécois (Québec, Éd. Garneau, 1974) dit qu’outre le fait qu’elle fut directrice de la page féminine du journal Le Canada, elle écrivit également dans L’Avenir et Le Journal de Françoise.
L’illustration provient de l’ouvrage de la Congrégation Notre-Dame, Le solfège à l’école, 4e et 5e années, collection Initiation à la musique, Ottawa, 1950.
P. S. Je ne veux pas contredire Margot qui écrit que les oiseaux chantent leurs plus jolies romances à ce temps-ci de l’année. À la vérité, les oiseaux ne chantent plus guère en septembre. Ceux qui sont toujours là n’y vont plus de ritournelles, mais de simples pépiements. Ou de grands cris d’avertissement de leur présence, comme le Geai bleu.
Des beaux souvenirs que cette illustration. Pour ce qui est du Couvent de St-Jérôme, devenu le Cégep, il ne reste rien hélas de ces jardins. Et dommage aussi de l’absence d’information sur cette « Margot », une autre oubliée, par contre l’auditorium du Cégep porte le nom de Germaine Guèvremont cette écrivaine n’a pas été oubliée.
Merci de ces infos, chère Vous.