Skip to content

Le chien de ferme

Un jour, mon grand ami Claude Lamontagne, brocanteur et sculpteur d’art populaire de son métier, me dit «Cette publication t’intéresse-t-elle ? Si oui, je te la donne.» Il s’agissait d’un document de 130 pages, non daté, relié au moyen d’un boudin de plastique, intitulé Le bon vieux-temps par Jean Sans-Terre. Ce Sans-Terre, Beauceron d’origine, J.-Édouard Beaudoin de son vrai nom, fut curé de Saint-Georges de Beauce pendant 23 ans et serait décédé en 1964. Dans cet ouvrage, il décrit en 34 tableaux sa vie d’enfant à la campagne, vraisemblablement au début du 20e siècle.

Je m’arrête à l’un de ces tableaux, Le chien de ferme.

 

Vous autres, citadins, vous ne savez pas, vous ne saurez jamais tout l’esprit que peut avoir un bon chien, un vrai chien de ferme. Je connais vos toutous charmants, laineux comme des brebis, ou rasés de frais tels des souris; ils sentent bon parce qu’ils sont parfumés; ils savent faire des belles, croquer un chocolat; même ils vous rendent service; si quelqu’un vous arrive en importun et que votre joli barbet aboie en reculant prudemment sous un sofa, vous le caressez tout de suite, et toute la ville apprend de votre bouche que vous avez un chien épatant.

Vous ne les connaissez pas nos chiens; un chien de ferme n’est pas un joujou, il est utile, et il est même nécessaire et une ferme n’est pas complète sans lui. Et il est de noble race, il descend en droite ligne des chiens bergers, et si un savant fouillait l’histoire, les vieux manuscrits lui apprendraient que sa généalogie remonte au temps d’Ulysse et de Tobie. Sa descendance n’a pas connu la mollesse de vos chenils; tout jeune, il est dressé à une rude école et la moindre faute est punie du fouet. Dès qu’il rend service, les rations et les douces caresses ne lui manquent pas. Aussi, il s’attache à son maître et lui obéit sur un signe.

Il est presqu’intelligent, notre chien; il connaît les voitures, leur destination, il devine les courses à faire; à l’église, il n’y va jamais, à la beurrerie et au moulin, il nous regarde au départ avec un air triste et sur un signe il court devant la voiture, joyeux.

Il connaît les jours, notre chien; la semaine, il s’éloigne quelquefois des bâtiments, il accompagne son maître, dans les champs ou dans le voisinage; le dimanche, il garde la maison. Couché sur la galerie, les pieds sous lui, près à s’élancer, les yeux à demi-ouverts, il voit tout, il entend tout, et régit tout.

Il connaît l’heure, notre chien; il réveille son maître au petit jour pour le train, assiste à la traite et chasse les chats loin des chaudières écumantes, et le soir, à l’heure des vaches, sur un ordre ou rien qu’à voir la ménagère prendre un seau et il part, cerne le troupeau, aboie pour établir son autorité, et suit la plus lente car il ne fait jamais courir les vaches.

Il est fidèle gardien aussi, notre chien; la nuit, c’est lui qui veille. Quand le maître est absent, qu’il tarde à rentrer, que sa femme est inquiète, il annonce son retour longtemps à l’avance. Il chasse les voleurs de jardinage, tient les poules et les bêtes vagabondes en réserve. Si tard dans la soirée, pendant le lourd sommeil du fermier, les animaux dans la friche beuglent d’un ton inquiétant pour le clos d’avoine du voisin, il jette l’alarme et protège ainsi la future récolte.

La ménagère, si elle reste seule, avertit de lui laisser le chien et il devient plus vaillant, plus agressif qu’il est aux ordres d’une créature plus faible. Pour défendre un enfant qui lui est confié, il s’attaquerait à un ours velu.

Et ils s’attachent plus que les vôtres, nos chiens; pas besoin d’annoncer dans les journaux que tel de nos chiens est disparu. Il aurait été traîné à vingt milles par des mains jalouses et criminelles que le soir même il serait de retour, renouvelant à son maître ses témoignages d’amitié sincère, et nous nous attachons à lui.

Combien d’entre vous n’ont pas été tentés de l’acheter à prix d’or ? C’est inutile, forcé par la misère, le cultivateur sacrifiera sa meilleure vache, il ira jusqu’à se séparer de son cheval, mais jamais il ne vendra son chien.

Et c’est grande peine sur la ferme quand il meurt, il n’y a plus d’ordre, tout va mal, la sanction est disparue, car il est à craindre le chien de ferme, doux avec les doux, il ne refuse pas la bataille et j’en connais des gens et des bêtes qui savent la longueur de ses crocs et la ténacité de sa poigne.

 

L’illustration est celle d’un des trois chiens de ferme de Marguerite Blais et Jean-Paul Labonté, de Dosquet. Quand je demande son nom à Marguerite, elle me répond que leurs chiens portent tous le même nom, Pitou.

8 commentaires Publier un commentaire
  1. Luc #

    Un Bon regard ce Pitou …

    2 août 2012
  2. Jean Provencher #

    Absolument. Et j’étais tout près. Il n’a même jamais jappé. Il est vrai que ses maîtres étaient derrière lui à nourrir leurs moutons dans l’enclos.

    2 août 2012
  3. Mildred #

    Cher vous, d’aussi loin que je me souvienne,pour éloigner les intrus perdu dans le rang, nos chiens colley genre lassie se prénommaient pitou; un jour l’un d’eux a mordu le mollet d’une jeune fille qui s’était introduite dans la cour sans s’annoncer pour acheter du blé d’inde .Mon père fut obligé par la municipalité de l’abattre;je m’en souvient comme si c’était hier car j’avais 10-11 ans et la fille de 15-16 ans avait peur des chiens, ce qui est très mauvais pour l’approche .Notre dernier colley s’appelait prince et est mort de vieillesse vers les annés 70 .

    2 août 2012
  4. Jean Provencher #

    Diable, chère Vous, vous deviez être fort attachée à ces deux chiens !

    2 août 2012
  5. Denis Jobin #

    Ah, la campagne. Cette description de la vie à la campagne me rappelle la lecture du recueil « En pleine terre » de Germaine Guèvremont. Et d’un conte en particulier, intitulé « Deux voisins plaident ». Le chien est le coeur de la querelle, mais aussi de la réconciliation. L’amitié, la solidarité et la sagesse des voisins déroutent les gens de robe. Savoureux à souhait.

    2 août 2012
  6. Jean Provencher #

    Je ne connais pas, Denis, ce texte de notre chère Germaine Guèvremont. Mais sans doute qu’il est comme tous ses autres écrits, fort bien tourné.

    2 août 2012
  7. Denis Bastien #

    J`adore ce texte, merci. :o)

    2 août 2012
  8. Jean Provencher #

    Merci à vous, cher Monsieur Bastien.

    2 août 2012

Publier un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Vous pouvez utiliser des balises HTML de base dans votre commentaire.

S'abonner aux commentaires via RSS