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La Journée nationale des Patriotes

En ce jour, voici cet écrit sur la langue du Québec de mon cher ami, l’anthropologue, auteur et animateur Serge Bouchard. J’ai repêché ce texte paru en page 3 dans une publication de huit pages, Le Fleurdelisé, du Mouvement national des Québécoises et Québécois, encartée dans le journal Le Devoir, édition du 19 et 20 mai 2012.

 

 

Parlons humain dans la langue du Québec

Voici l’histoire vive du Nouveau Monde, une aventure immense, trop souvent oubliée, qui s’est exprimée depuis toujours en français. Ce français-là n’est pas seulement de France, il s’est forgé à même les courants tumultueux de son périple dans le temps et dans l’espace, il est du cœur de l’Amérique. Il a eu ses hauts et ses bas, il a survécu au mépris colonial, à l’anglicisation. Ce français-là a surmonté sa propre fatigue culturelle, affronté les démons de son aliénation. Il a peiné au long de tant de désamour, et le voilà beau, la tête haute, le voilà ayant acquis force de loi. Il faut tenir à ce français d’Amérique, qui est la langue de nos mères. C’est notre rire, notre parole ; ce sont les efforts, les travaux et achèvements, les accents, les jurons et les rêves de nos espérances.

Le récit de la nation québécoise est celui d’une longue marche, d’une métamorphose continuelle, d’une suite de rencontres, certainement d’une quête. À chaque année, nous fêtons notre joie d’être là, toujours en vie, nous célébrons la nation originale que nous formons désormais, n’excluant personne qui veut danser avec nous. Et cette danse a toujours l’étoffe de notre langue, le pas de notre musique, la coulée forte de notre poésie.

Nos tribulations historiques ont donné naissance à une culture originale, à une fricassée, un chiard d’influences, une façon qui n’est ni française de France, ni anglaise d’Angleterre, ni états-unienne d’Amérique. Au cours des siècles, nos ancêtres allaient frayer avec les Basques et les Micmacs, les Irlandais et les Écossais, les esclaves noirs de Saint-Domingue et d’Afrique, les Ojibways-Sauteux, les Cris, les Allemands, les Italiens, les Juifs, les Grecs. Et ce sera toujours mal mémoire que d’ignorer la riche diversité de nos sources, de nos patries, de nos exils. Nous, les Louis Jolliet, Étienne Provost, Jean-Baptiste Chalifoux et Marie-Anne Gaboury de ce monde, avons parlé l’algonquin, l’iroquois, la langue lakota des Sioux, nous avons parlé l’espagnol du Mexique, et puis l’anglais en tout dernier. Il n’est de recoin du continent où nous n’avons tenté le coup. Nous fûmes en Illinois, à la Butte des Morts au Wisconsin, au lac Milles Lacs dans le Minnesota, à la vallée de la Willamette en Oregon, au lac La Biche en Alberta du nord, au lac La Berge au Yukon. Bien sûr, nous avons défriché, dessouché, bûché, mis au monde des trâlées d’enfants, prié et communié. Mais nous étions aussi des rebelles et des découvreurs, des passionnés de terres sauvages. Il y eut beaucoup de Survenants parmi les Habitants : ces mangeurs de lard, comme les Anglais appelaient les voyageurs, les coureurs de bois, les hommes de montagnes canadiens, valent autant à notre histoire que l’assemblée des mangeux de balustres.

Il n’y a plus à faire la preuve de notre existence collective. La signature de notre identité se lit partout, à Las Vegas, au Yang Tsé Kiang, à Alger, à Bamako ; partout nous sommes à faire des routes et des barrages, à planter nos chapiteaux, à jouer, chanter, créer, à faire la belle part au monde. Les Ancêtres nous le diraient : bravo ! continuez d’être différents. La culture est un style : projetons ce style au laser sur les murs du monde entier. Cette nation a le sens de la fête et elle sait recevoir, encore. Elle renoue avec les Premières Nations, elle s’enrichit du Maghreb, de l’Afrique, de l’Asie, de l’Amérique du Sud, elle s’enrichit d’Haïti, elle est de toutes les couleurs, de toutes les saveurs. Qui adopte l’histoire de cette franco-américanité, de cette québécitude élargie, déjà si métisse, déjà riche de toutes ses routes et de toutes ses souches, adoptera d’emblée cette joie d’être ensemble. Oui, nous sommes toujours aussi recevants.

Nous sommes et nous avons été beaucoup plus qu’on pense. Le Québec a fait des Québec partout, mais il a fait un Québec surtout. Il existe une force vive dans le cœur de cette petite nation, point nécessaire d’être un empire pour faire sa marque sur la carte. Le voyage continue, en français. Ce français-là appartient à l’Amérique et l’Amérique ne serait pas ce qu’elle est sans lui. Fêtons ses accents, son ton, ses expressions. Célébrons la marche de la diversité culturelle, puisque cette diversité s’incarne en nous depuis le degré zéro de notre existence sur ce continent. Parlons d’amour en français d’Amérique, parlons humain dans la langue du Québec.

Sur Serge Bouchard, voir cette page des Éditions du Boréal.

Serge Bouchard

 

 

 

 

 

 

Le fleurdelisé ci-haut, le drapeau du Québec, fut photographié sur la cheminée d’un des traversiers assurant la navette sur le fleuve Saint-Laurent entre les villes de Québec et de Lévis.

4 commentaires Publier un commentaire
  1. Nicole D. #

    Merci Jean de nous partager ce texte magnifique de Serge Bouchard. Il en faut encore de cette race d’homme qui savent dire les vraies affaires. Nous sommes un peuple fier fondamentalement qui a subi trop d’affronts par le passé et qui en subit hélas encore à l’heure actuelle. Soyons fiers de notre langue et de nos racines. Sachons nous tenir debout.

    21 mai 2012
  2. Jean Provencher #

    Absolument, chère Nicole. Et, en ce jour, je voulais que ce texte de mon ami Serge soit là, car il est fort beau !

    21 mai 2012

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